samedi 26 décembre 2009

Joyeuses Fêtes Moussie, Samuel et Nega !

Aux nocturnes de Lausanne, un flot d’acheteurs compulsifs et trois chameaux, figurants remarqués de la Crèche vivante (mieux rémunérés que les comédiens) ; mais aussi soirée dédicaces à la librairie des Yeux Fertiles.
L’attente donc du Messie, hypothétique lecteur échappé de sa course à l’originalité du présent. L’écrivain Corinne Desarzens est en retard. Le temps d’ouvrir Le gris du Gabon, son dernier roman, en prise direct avec l'actualité, celle des requérants d'asile.
« Comment rester indifférents au courage, à la grande leçon de vie, et à la violence soft exercée jour après jour sur ces rescapés magnifiques, traités comme si les officiers de l'aéronautique giflaient les astronautes de retour de la lune ? » Subtilement, son ouvrage distille dans une intrigue badine de trafic de perroquets l’âpre réalité des expulsions musclées, des froides statistiques et des cadavres repêchés sur l’île de Lampedusa.
Mais voilà l’auteur, en compagnie de trois amis. Le premier vient d’une ville soudanaise située à la confluence du Nil bleu et du Nil blanc (il mime l’emplacement avec ses mains). Les deux autres sont Erythréens ; près du rayon « récit de voyage », le résumé de leur périple, par la route jusqu’en Libye, puis, contre un millier de dollars, par la mer jusqu’à l’île de Lampedusa, où demander l’asile. Mes yeux ont dû montrer une forme d’apitoiement, car ils ont éclaté de rire : « magnifique traversée, sans vent, comme des touristes ! ». Oui. C’est en Europe que ça s’est corsé. Tous trois attendent leur verdict, entassés dans des « abris ».
Alors je revois mes livres de voyage. « L’hospitalité des gens est inversement proportionnelle à l’hospitalité de leur environnement », peut-on lire dans l’un. Dois-je leur parler de mon ami Omar avec lequel je travaillais dans un chantier de Khartoum ? De la Timkat, le baptême du Christ, à Metema, en Ethiopie, inoubliable nuit blanche rythmée de chants et de danses ?
Ouste ! Non-entrée en matière pour les dédicaces ! Expulsés, les bouquins ! Moussie, Samuel et Nega ont préparé l’injera, l’incontournable repas de la Corne d’Afrique. Un délice. Tous ensemble. Des rires. Noël...
Dans Le gris du Gabon, Corinne Desarzens cite Albert Camus : « la générosité envers l’avenir est de tout donner au présent ». Cette année, mes rois mages se sont appelés Moussie, Samuel et Nega. Et les leurs ?
(publié dans Le Nouvelliste le 27 décembre 2009)

jeudi 10 décembre 2009

Une dette envers l’islam

La peur. Après la honte, la colère et la cogitation. J’avais peur que ce 29 novembre soit un indice supplémentaire du conflit de civilisations qui guette, peur que la petite histoire (l'actualité) amoche irréversiblement la Grande Histoire (les fondements des civilisations).
Seulement voilà, la petite histoire distille aussi ses bonnes nouvelles : heureux hasard du calendrier, les éditions neuchâteloises Chaman publient dans quelques jours Traces, un beau livre signé Georges A. Bertrand, photographe, historien de l’Art et écrivain français (il est notamment l’auteur d’un Dictionnaire étymologique des mots français venant de l’arabe, du turc et du persan). C’est un livre qui tombe à pic et qui pourrait être polémique… s’il n’appartenait à la Grande Histoire.
«Nos concitoyens auront du mal à comprendre que l'on doive quelque chose aux Arabes », anticipe à juste titre Georges A. Bertrand. Voilà pourquoi son ouvrage s’ouvre sur une citation rafraîchissante de Goethe : « celui qui se connaît lui-même et les autres reconnaîtra aussi ceci : l’Orient et l’Occident ne peuvent être séparés ».
Toute l’enquête photographique de Georges A. Bertrand naît d’un constat pour le moins naïf : les portails des églises du Limousin, au cœur de la France, ressemblent étrangement aux portails des mosquées qu’il a vus dans l’ouest de l’Algérie. L’intuition et la persévérance feront le reste. Son ouvrage prouve que l’Occident chrétien et l’Occident musulman n’ont pas connu uniquement des relations conflictuelles et que les Arabes ont maints fois joué le rôle de passeurs, dans le temps comme dans l’espace. Au moyen d’images qui se superposent, Traces atteste des emprunts de l’architecture chrétienne aux arts islamiques (les ornements, les sculptures, les arabesques, les entrelacs).
En refermant l’ouvrage, une conclusion s’impose au lecteur. L’Occident a une dette envers le monde musulman ; ce dernier a été l’un des terreaux qui permit la floraison de la civilisation européenne. Et vice-versa !!!
En Suisse, l’avenir de Traces s’annonce bien… en partie grâce aux votations du 29 novembre. L’auteur se plaît à relayer l’enthousiasme de son éditeur, basé en Suisse : « il m'a dit que les commandes du livre explosaient là-bas ! ».
Alors la peur se dissipe peu à peu : la Grande Histoire saura faire taire la petite.
(publié dans Le Nouvelliste le 10 décembre 2009)
PS : Bonus ici...

vendredi 27 novembre 2009

Au XXIème siècle, aidez les sans-papiers !

C’est qu’elle porte bien son enseigne, la dernière, la toute dernière pinte de la ville : le XXème siècle.
Il y a Balavoine sur Radio Nostalgie, « aimer est plus fort que d’être aimé », etc. Il y a une serveuse qui porte un prénom, Marie-Jo. Il y a une craie qui crisse sur une ardoise pour nommer le menu. Il y a des chaises qu’on ne saurait plus où acheter, une affiche « défense de ne pas fumer », au plafond, une guirlande de saucissons, et aux parois, de vieilles photos sépia (la maréchalerie, en face de la pinte, au début du siècle dernier).
Il y a celui qui a ri, a beaucoup ri. Perché sur un tabouret de bar, il parle fort : « les fonctionnaires fonctionnent pour penser, mais dès qu’ils pensent, ils ne fonctionnent plus ». Alors il rit, il rit beaucoup.
Il y a celui qui a étudié, a beaucoup étudié. Sciences de la Vie, deuxième année. Le Temps devant lui, rien que pour lui. Rare qu’on lui adresse la parole. Rare aussi qu’il la prenne. C’est qu’il étudie, il étudie beaucoup.
Il y a celle qui a bavardé, a beaucoup bavardé. Connexion haut-débit à grand renfort d’Assugrin. Mais quand l’amie s’en va, elle gratte un billet à cent sous, noircit un sudoku, regarde ses mains, puis s’en va. Elle aime bavarder (elle est veuve), beaucoup bavarder.
Il y a celui qui a bu, a beaucoup bu. Un séducteur sur le retour (il est de 57) qui dit que « la sienne » lui fait toujours tout partout et jusqu’au bout. Un homme en détresse qu’il faudrait d’urgence prendre dans ses bras. Pour cela qu’il boit, qu’il boit beaucoup.
Il y a enfin celui qui a travaillé, a beaucoup travaillé. Durant la pause, il tourne les pages d’un quotidien, vite : un avion tombé au Chili, c’était au TJ de midi, dix-sept Italiens, ils ont dit. En vérité, sa femme vient de le quitter. C’était les amis ou elle. Il a dit : « les amis ». Maintenant il regrette. N’a pas tourné la page. Alors il travaille.
Il travaille beaucoup et ignore sa chance. Car il y a sur son chemin cette plaisanterie éculée, une mauvaise blague du siècle dernier affichée sur la porte des vécés : « aidez les sans-papiers ».
(publié dans le Journal de Morges le 27 novembre 2009)

Tous sur Valais-mag.ch !

C’est l’histoire d’un mec. Vous la connaissez ? L’histoire d’un mec las de la fusion progressive des médias audiovisuels (« écoute-voir », en vaudois) en Suisse romande, las des investigations journalistiques en un clic, en un copier-coller, en un coup de fil et par moteurs de recherche interposés, las des lignes éditoriales strictes et de l’autocensure qu’elles engendrent, las du jeu des annonceurs, las d’entendre se plaindre des journaleux dits « de gauches » manœuvrés par des groupes de presse dits « de droite », las de savoir le royaume aux mains des nantis et de l’Etat, las de l’info-spectacle, las de l’info-pub, las de l’info-divertissement, las enfin de ne pas avoir son mot à dire.
Son réconfort (même provisoire), il l’a trouvé sur le web, dans des plateformes dites « indépendantes », heureux contrepoids de la pravda officielle. Rôdant sur la Toile, il consulte des journaux indépendants participatifs (Médiapart.fr, Agoravox.fr, Come4news.com, Centpapiers.com), un site créé par d’anciens journalistes du Libé (Rue89.fr), un blog devenu la voix des banlieues (bondyblog.fr), un « café du commerce électronique » (echo.levillage.org), etc.
C’est un autre objectif qui le titille maintenant. Il ne veut plus figurer au rang des récepteurs passifs. Il entend émettre ses propres opinions, être démocrate et participer à l’information.
Il a donc entré « journalisme citoyen » et « Valais » dans son moteur de recherche et quelle ne fut pas sa surprise : Valais-mag.ch ! Un magazine culturel à but non lucratif lancé il y a un mois par la journaliste Marie Parvex : un agenda, des critiques, des créations, des coups de gueule et… la possibilité offerte à tous de publier ses propres articles : « nul besoin d’être journaliste pour avoir des informations intéressantes. Au contraire, vous êtes souvent spécialistes de certains domaines par vos hobbys ou votre profession ».
Il s’efforce donc désormais de publier sa propre information indépendante, fiable, précise et diverse. Il se pose des questions : un journalisme citoyen « qui marche », n’est-ce pas la certitude de revenir à une forme de journalisme traditionnel, avec des chefs, une ligne, des donateurs et des comptes à rendre ? Mais il se laisse emporter par l’enthousiasme que lui insuffle « son » nouveau magazine culturel.
(publié dans Le Nouvelliste le 27 novembre 2009)

vendredi 13 novembre 2009

Typologie des murs de ce monde

Peut-être ont-ils eu raison de te les c*** avec la commémoration de la chute du Mur, car Berlin renfermait le tout dernier MUR DE PAUVRES, un modèle unique, créé pour emprisonner ses propres pauvres et éviter qu’ils aillent s’enrichir ailleurs (en vérité, ces derniers sont restés sur leur faim, lorsqu’en novembre 1989, après s’être agglutinés devant les vitrines des concessionnaires Mercédès, ils ne sont rentrés chez eux qu’avec une banane et une bouteille de coca-cola).
Au 15ème anniversaire de ladite chute, les historiens Axel Klausmeier et Leo Schmidt se sont battus pour inscrire le Mur de Berlin au patrimoine mondial de l’Humanité. Il aurait ainsi rejoint la très prestigieuse catégorie des MURS TOURISTIQUES, au même titre que la Grande Muraille de Chine ou le Mur d’Hadrien, tous deux inscrits à l’Unesco en 1987.
Il n’en fut rien. Aujourd’hui, l’Europe a préféré le remplacer par un MUR NATUREL, la Méditerranée, un bassin qui ne voyage qu’à sens unique depuis une génération (un bassin qui doit pourtant sa richesse à trois millénaires de brassage culturel).
Autre type de mur, les MURS DE BONNES GUERRES, ceux que l’on dit « utiles », ceux qui divisent les deux Corées (qui n’ont, 56 ans après l’armistice, toujours pas signé la paix), les deux républiques chypriotes (qui, selon la mythologie grecque, ont vu naître Aphrodite, la déesse de l’amour) et les deux états irlandais (qui sont séparés par un « Mur de la Paix »).
Viennent ensuite les plus vendus, les MURS DE RICHES. Pour n’en citer que deux : celui que les Américains érigent en face des Mexicains et celui que les Américains érigent en face de leurs propres et pauvres concitoyens (type de mur bientôt disponible en Suisse).
Les MURS DE RICHES-PAUVRES se distinguent des précédents par leur non-visibilité médiatique. Le gouvernement du Botswana a ainsi décidé de clôturer hermétiquement sa frontière avec le Zimbabwe (500 kilomètres) et l’Inde, d’en faire pareil avec le Bangladesh (4000 kilomètres).
Enfin, les MURS ANGÉLIQUES : un état dit construire un mur de sécurité contre les terroristes et fabrique un mur de séparation, profitant de s'emparer des terres du voisin. Un exemple ?
- Non, pas besoin.
La chute de cette chronique ?- Ces murs n’ont qu’un seul point commun - la PEUR - et qu’un seul espoir : l’homme connaît toujours des échelles plus grandes que les murs qui lui font face.
(publié dans Le Nouvelliste le 13 novembre 2009)

vendredi 30 octobre 2009

« Pour ne pas [plus] être des bêtes les uns pour les autres »

Il est des fous qui parlent vrai : « ceux qui disent oui ou non n'expriment pas réellement leur volonté, mais sont bâillonnés au nom de la démocratie. Il ne leur est permis de prononcer qu'un seul mot : oui ou non. C'est alors le système dictatorial le plus répressif », écrit Kadhafi dans son Livre vert.
Le 29 novembre, les minarets.
Combien coûte une votation fédérale ? Combien de Suisses voteront « non », pensant dire non aux minarets ? Quand dira-t-on définitivement non aux nuisances visuelles des antennes de téléphonie mobile, ces signes ostentatoires de religion (du latin « religare », relier) ? Non aux nuisances sonores des cloches dominicales (une initiative qu’une majorité laïque aurait raison de lancer) ? Pourquoi des votations fédérales si, selon la Constitution, « la réglementation des rapports entre l’Église et l’État est du ressort des cantons » ? Comment dire non aux minarets, si ce refus bafoue la Convention européenne des Droits de l’Homme (art. 9 : « la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ») ? Et cætera.
Un vote n’est qu’un bulletin. Oui ou non. Ne devrions-nous pas investir notre énergie dans un véritable « accueil » des 300'000 Musulmans vivant en Suisse ? Dis, as-tu de bons amis musulmans ? Et si, entre une propagande fédérale et une polémique médiatique, tu allais débattre des minarets avec un Kosovar, une Bosniaque, un Turc ou une Albanaise ?...
Des cinémas proposent actuellement le documentaire Bassidji, réalisé par Mehran Tamadon (les salles valaisannes ne semblent hélas pas intéressées). Les « bassidji » sont les défenseurs extrémistes de la République islamique d’Iran ; le réalisateur est un Iranien arrivé en France à l'âge de 12 ans, athée et fils de militants communistes :
« Malgré mes craintes, je me suis efforcé de poser de vraies questions, de donner honnêtement mon avis tout en répondant moi aussi aux questions qui m’étaient posées. J’ai tenté de renouer, malgré les oppositions fondamentales et les désaccords insurmontables, une discussion que des personnes appartenant à une même société se doivent d’avoir entre elles si elles ne veulent pas être des bêtes les unes pour les autres ».
Une réussite. Mehran Tamadon a visé l’objectif ultime de la politique : tenter de vivre ensemble.
(publié dans Le Nouvelliste le 30 octobre 2009)

samedi 17 octobre 2009

Lire + écrire = bonheur intérieur brut

Dimanche 4 octobre, à l'heure de la messe, dans la Maison Supersaxo, à Sion. L’écrivain Bastien Fournier avait convié une dizaine d’autres écrivains à débattre des heurts et malheurs de la littérature suisse romande... en France.
Germain Clavien d'abord. Paris ne s'intéresse pas à nous, point. Narcisse Praz de réagir. Et bien, unissons-nous pour mieux passer la frontière ! L’enthousiasme n’est pas majoritaire. Si Partick Rossier condamne le manque d'identité régionale des lettres romandes, Isabelle Flückiger se considère, en réaction, comme écrivain du monde. Si Jérôme Meizoz rappelle qu’historiquement la « littérature alpine suisse » était un choix gouvernemental abondamment subventionné, Nicolas Couchepin note qu’actuellement il n’y a simplement pas assez d'argent pour exporter la littérature suisse romande. Enfin, Eugène (qui n’a visiblement pas apprécié de s’être levé tôt pour entendre des gens se plaindre) se réjouit malgé tout de la création de nouvelles éditions telles que Cousumouche à Genève (Fred Boquet était là) ou Castagniééé à Vevey (Alain Freudiger aussi). Alain Bagnoud écoute.
Bien. Et si l’on retournait le problème ? Paris a besoin de nous. Paris a besoin de littérature périphérique. Paris a besoin d’oxygène, de recul et de silence. Alors oui, parfois, un Suisse est invité à « monter » à Paris. Mais ce dimanche-là, étrangement, je ne souhaitais à personne d'entre nous de « réussir » à Paris, car « milliers d'exemplaires » et « passages télé » sont les termes d’une langue ennemie.
L'engagement artistique est ailleurs. Il est dans l'espace : refaire le monde, se remondialiser, se retirer, retrouver une identité, une région, une langue, un accent, sans racisme ni cynisme. Il est aussi dans le temps : lutter contre le surmenage, l’urgence, la concurrence et l’hyperconsommation obsessionnelle.
Au-delà de sa publication et de sa diffusion, la littérature redevient ainsi une rencontre intense qui demande une attention complète, une empathie aussi profonde que réciproque, un bien-vivre durable, du bonheur intérieur brut. En cela, la littérature répond à la crise. « Slow Movement », disent certains. Une forme de désobéissance civile qui recrée du lien social là où il n’y en a plus.
Et merde pour Paris qui voudrait tant, quant à elle, « réussir » sur le marché... anglo-saxon !
(publié dans Le Nouvelliste le 17 octobre 2009)

vendredi 9 octobre 2009

Tu te souviens ? C’était… en 9 !

On n’avait plus vu pareil massacre depuis l’an 75 du siècle précédent. Un 23 juillet comme si c’était hier. La colonne sombre sur le Jura, la nuit noire en plein après-midi, la fenêtre de la chambre à coucher qui claque, le canon à grêle, ou était-ce la foudre ?, des salves de projectiles « de la taille d’une balle de golfe », ils ont dit, cinq minutes, l’Enfer.
Puis plus rien sinon le silence. Le grand beau par-dessus le tapis blanc d’une morte saison.
À Bremblens, la vigne était foutue, une année de boulot, plouf ! Et pas une goutte de pluie sur le voisin de Denges ! La grande injustice. « J'ai pleuré. Tant de choses à faire. Je ne savais pas par où commencer », l’un a dit. « Afin que l’expertise se fasse rapidement, utilisez le formulaire rose ou annoncez le dommage en ligne», l’autre a écrit. On a fait marcher l’assurance pour remplacer la vieille auto bosselée, on s’est inscrit dans la liste d’attente du vitrier, on a planté une étiquette rouge dans les cultures, on a chiffré la casse, on a évalué les indemnités.
Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul grêlon. Dans un frigidaire. Un grêlon qui fond un peu plus chaque fois qu’il passe dans les mains des invités pour témoigner de la violence du massacre. Les invités ouvrent de grands yeux désolés.
Aujourd’hui, alors qu’un charpentier retape le toit d’un hangar voisin, on vendange, on vendange même à Bremblens, on chiffre la récolte, on est déçu en bien, on évalue le sucre, « le millésime 2009 sera exceptionnel », ils ont dit, et, pour peu, on saluerait la clémence des dieux…
…s’il n’y avait dans la Feuille du jour un mot sur les commerces, hôpitaux, écoles, musées, mosquées et églises effondrés comme des châteaux de cartes en Indonésie. Un millier de morts, des milliers d’ensevelis, un séisme, deux minutes.
Alors, on fait le poing dans sa poche, on a plus envie de chiffrer la casse, d’évaluer les indemnités, on a envie d’en tirebouchonner une de l’an 8 pour se souvenir d’un jour de juillet qui ne nous a pas volé l’essentiel. Santé ! Et pour rafraîchir le sirop du petit, plouf, le grêlon du frigidaire ! Allez, petit, à l’an neuf !
(publié dans le Journal de Morges le 9 octobre 2009)

samedi 3 octobre 2009

Jouir sans entraves au temps… de la grippe porcine

En vrac, sans remonter à Verlaine, Baudelaire, Flaubert, Gide et d’autres grandes personnes soucieuses de « former » nos chères têtes blondes, on retiendra Les Amitiés particulières de Roger Peyrefitte (1943), La Ville dont le prince est un enfant de Henry de Montherlant (1951), Lolita de Vladimir Nabokov (1955), Paysage de fantaisie de Tony Duvert (1973), Les Moins de seize ans de Gabriel Matzneff (1974)…
Mais tu as raison, on ne doit pas amalgamer l’œuvre d’art (tout est possible) et l’artiste (poète, vos papiers). Alors ?
À l’âge de 29 ans, Charlie Chaplin épouse Mildred Harris, 17 ans (1919), puis Lita Grey, 16 ans (1924). Mia Farrow quitte Woody Allen, après avoir découvert qu’il détenait des photographies de sa fille adoptive, entièrement nue (1992). L’acteur Charlie Sheen, accusé par son ex-épouse de visionner des films pédophiles, entend prouver son innocence en incarnant sur grand écran un père de famille qui part à la chasse… aux pédophiles (2009).
Aujourd’hui, l’affaire Polanski.
Une intervention « peu sympathique », selon Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères ; en 1977, il cosignait une pétition en faveur d’inculpés maintenus en détention provisoire dans une affaire de pédophilie (« les enfants n’ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d’instruction qu’ils étaient consentants »).
« Absolument épouvantable », juge Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, peinant à comprendre cette arrestation « pour une histoire ancienne qui n'a pas vraiment de sens » ; en 2005, dans La Mauvaise Vie, il se repentait d’avoir couché avec des garçons, en Thaïlande.
Reste le député européen Daniel Cohn Bendit qui rappelle qu'il y a eu viol sur une fillette de 13 ans et « qu'un ministre de la Culture, même s'il s'appelle Mitterrand, devrait dire : j'attends de voir les dossiers » ; en 1975, il évoquait ses activités d’aide-éducateur dans Le Grand Bazard : « il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller […] S’ils insistaient, je les caressais quand même ».
Au secours. Pitié. Quelqu’un à la rescousse.
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir » ; La Fontaine adressait aux enfants, mais surtout aux adultes, ses Animaux malades… de la peste.
(publié dans Le Nouvelliste le 3 octobre 2009)

vendredi 18 septembre 2009

Libyen cela avant d’en vérifier les sources

Puisqu’un peu par hasard, j’y étais trois mois avant ce fatidique 12 juillet 2008 (et puisque les Affaires Étrangères parlent de « bandes armées » et de « terroristes islamistes »), laisse-moi te présenter Moussah (« Moïse » en arabe), un chic type né à Tobrouk, en Libye.
Quand il en a sa claque, il n'y va pas par quatre chemins. À bord d’un taxi, il emprunte celui des quartiers mal famés. Il baisse alors sa vitre et tend 5 dinars (3 euros) à un homme appuyé contre un mur. La voiture redémarre. Au bout de la ruelle, il réceptionne sa commande, un sachet rempli d'un demi-litre de « boukha », un tord-boyau à base de dattes qui se vend dans tout le pays, en toute illégalité.
Sur le chemin du retour, le chauffeur recommande la discrétion, puis, montrant sa carte d'accréditation, finit par avouer que son deuxième métier est... policier. Comme si cela de suffisait pas, il cherche à revendre un morceau de haschisch algérien...
L'argent n'est pas ce qui préoccupe Moussah (il est de ceux qui fument des Marlboro, les plus coûteuses). Comme la plupart des Libyens, il cumule plusieurs emplois, dirigeant deux petites entreprises d'import-export (en réalité, elles font le même travail, mais si l'état libyen décidait d'en surtaxer une, jugeant qu'elle menace ses intérêts, il pourrait la fermer et déplacer ses activités sur l'autre), tout en conservant quelques charges administratives dans un commissariat (un alibi qui l'affranchit de ses obligations militaires).
Quand il ne travaille pas, Moussah regarde des films américains, des DVD piratés vendus au prix du demi-litre de « boukha ». Bien des fois pourtant, la fiction ne prend pas. Au second verre, Moussah se lâche : « ma mère veut me marier à une Berbère que je n'ai jamais rencontrée. J’en ai marre d'entretenir des amantes secrètes qui me demandent continuellement une montre de marque ou le nouveau téléphone Motorola ! » S'il dit ne jamais être tombé amoureux, il a adoré le film Titanic.
Il a envie qu'on le laisse gagner sa vie, qu'on le laisse aimer. Il croit cela possible aux États-Unis d'Amérique. L'ambassade de Tripoli n'est pour l'instant active que dans le commerce. Mais sitôt qu'elle délivrera des visas, il sera le premier de la file ! Il l'a lu dans les journaux : là-bas, tout est possible et les filles sont à tomber…
(publié dans Le Nouvelliste le 18 septembre 2009)

vendredi 4 septembre 2009

« Laissons dire et faisons bien »

Il est ardu de parler des terres qui t’ont vu naître. Les villages d’antan (volets verts, grands toits roux, postes et pintes) ne sont plus.

Une maison, trois carreaux retournés,
Une porte qu’on ne ferme pas à clef
Et du bois dans des caisses à pommes.
Et une femme, un drapeau, un homme ;

Les blés avaient la taille d’un enfant…
Des balles rondes (les jouets d’un géant ?),
Un stand qui tire par-dessus un étang,
Les pompiers, la Jeunesse, des bouteilles de blanc.

« Après moi, c’est terminé », pleure Rolland, le vieux gérant. Il a tort bien-sûr, car dans ces terres peuplées de pendulaires, d’Allobroges et d’allophones, tu sais que la ville est à la campagne et la campagne à la ville. Plus d’air, plus de bruit, plus de fusions, plus de rires, plus de cris, plus de larmes aussi, plus de vie.

Vers Reverolle roule un car postal
(Un d’Berolle voyage en char agricole).
Une carte postale de Préverenges-plage :
L’Espagnol l’appelle sa Costa del Sol !

L’Isle a vu la Venoge voir le jour,
Tomber du Jura comme d’un abat-jour.
Sur le Léman, santé l’Aubonne !
Sur le Léman, vive l’Hexagone !

Vergers couverts et bois rebiolés.
Rien ne dépasse. Sinon l’or des clochers.
Sur chacun d’eux veille un gallinacé.
Les douze coups de midi. Il est l’heure de rentrer.

Un refrain de chez toi ? Rien ne vient. Sinon ce frisson qui festoie en silence. À partir de là, de t’éteindre soudain, tu te dis pour toi : « aucune importance ».

Titre : devise gravée sur la Tour de l’horloge, à Saint-Prex.
(publié dans le Journal de Morges le 4 septembre 2009)

Monsieur et Madame Enpagedeu ont une fille et deux fils

Salut. Tu te trouves vraisemblablement en Valais. Pas moi. J’ai les vignes à Morges, enfin, en dessus de Morges, pour être honnête. Le Nouvelliste, c’était un mot plein d’espoir sur le maillot d’Aziz Bouderballah, quand j’avais neuf ans. Je ne suis plus protestant depuis l’âge de raison, et encore moins catholique, crois-moi. J’aime pas carnaval et ne peux nommer que sept de tes treize étoiles. Bref, je n’ai rien à faire ici.
Salut. C’est encore moi. Pour être tout à fait honnête (oui, même dans un quotidien), j’avais parié une absinthe du Val-de-Travers avec un scribe genevois (que tu liras ici même lundi) que je perpétrai un « monsieur et madame ont un fils » dans LE quotidien valaisan. Un vrai défi de «synergie transcantonale» qui vient d’être relevé. La gueule de bois est une chose. Ensuite, il me faudra l’ouvrir, assumer, écrire ici mes quatre vérités, avec régularité, polémiquer.
Sion, we have a problem. J’ai été, comme ceux de ma génération, élevé en fût postmoderne. Je ne crois qu’aux idées paradoxales. Insouciance, identité multiple et ironie sont des formules qui me parlent. Je connais les bonheurs insoupçonnés de la précarité et des ruptures en tout genre. Je participe au culte de l’ignorance crasse et vois, comme toi, s’éteindre les derniers véritables journalistes, forcés de se convertir, dans l’indifférence générale. Bref, je n’ai aucune idée, digne de ce nom.
Il me faut assumer, disais-je. Je te promets donc pour la prochaine fois une chronique brodée de convictions. Si possible sans évoquer la saga du grand méchant loup (tant de conneries ont été écrites sur son compte). Ni l’après-Couchepin («pour lire un livre, il faut avoir du silence, ou alors avoir du bruit qu’on n’écoute pas», Tard pour bar, 18.06.09). Encore moins l’entreprise Constantin («mon week-end idéal, c’est quand je gagne un match de football le dimanche», 24 Heures, 10.01.09). Tiens, il se pourrait bien que je parle de ceux qui vivent en Libye, sans être dictateurs.
J’ai commencé mon travail d’immersion, me suis baigné au lieu-dit les Iles, ai ingurgité plusieurs rubriques du Nouvelliste, sirotté le blog de Lagreu et même sifflé La Loi de la Jungle d’Éric Felley.
La fille et les deux fils de Monsieur et Madame Enpagedeu s’appellent Iva, Paul et Mickey.
(paru dans Le Nouvelliste le 4 sept 2009)