vendredi 18 septembre 2009

Libyen cela avant d’en vérifier les sources

Puisqu’un peu par hasard, j’y étais trois mois avant ce fatidique 12 juillet 2008 (et puisque les Affaires Étrangères parlent de « bandes armées » et de « terroristes islamistes »), laisse-moi te présenter Moussah (« Moïse » en arabe), un chic type né à Tobrouk, en Libye.
Quand il en a sa claque, il n'y va pas par quatre chemins. À bord d’un taxi, il emprunte celui des quartiers mal famés. Il baisse alors sa vitre et tend 5 dinars (3 euros) à un homme appuyé contre un mur. La voiture redémarre. Au bout de la ruelle, il réceptionne sa commande, un sachet rempli d'un demi-litre de « boukha », un tord-boyau à base de dattes qui se vend dans tout le pays, en toute illégalité.
Sur le chemin du retour, le chauffeur recommande la discrétion, puis, montrant sa carte d'accréditation, finit par avouer que son deuxième métier est... policier. Comme si cela de suffisait pas, il cherche à revendre un morceau de haschisch algérien...
L'argent n'est pas ce qui préoccupe Moussah (il est de ceux qui fument des Marlboro, les plus coûteuses). Comme la plupart des Libyens, il cumule plusieurs emplois, dirigeant deux petites entreprises d'import-export (en réalité, elles font le même travail, mais si l'état libyen décidait d'en surtaxer une, jugeant qu'elle menace ses intérêts, il pourrait la fermer et déplacer ses activités sur l'autre), tout en conservant quelques charges administratives dans un commissariat (un alibi qui l'affranchit de ses obligations militaires).
Quand il ne travaille pas, Moussah regarde des films américains, des DVD piratés vendus au prix du demi-litre de « boukha ». Bien des fois pourtant, la fiction ne prend pas. Au second verre, Moussah se lâche : « ma mère veut me marier à une Berbère que je n'ai jamais rencontrée. J’en ai marre d'entretenir des amantes secrètes qui me demandent continuellement une montre de marque ou le nouveau téléphone Motorola ! » S'il dit ne jamais être tombé amoureux, il a adoré le film Titanic.
Il a envie qu'on le laisse gagner sa vie, qu'on le laisse aimer. Il croit cela possible aux États-Unis d'Amérique. L'ambassade de Tripoli n'est pour l'instant active que dans le commerce. Mais sitôt qu'elle délivrera des visas, il sera le premier de la file ! Il l'a lu dans les journaux : là-bas, tout est possible et les filles sont à tomber…
(publié dans Le Nouvelliste le 18 septembre 2009)

vendredi 4 septembre 2009

« Laissons dire et faisons bien »

Il est ardu de parler des terres qui t’ont vu naître. Les villages d’antan (volets verts, grands toits roux, postes et pintes) ne sont plus.

Une maison, trois carreaux retournés,
Une porte qu’on ne ferme pas à clef
Et du bois dans des caisses à pommes.
Et une femme, un drapeau, un homme ;

Les blés avaient la taille d’un enfant…
Des balles rondes (les jouets d’un géant ?),
Un stand qui tire par-dessus un étang,
Les pompiers, la Jeunesse, des bouteilles de blanc.

« Après moi, c’est terminé », pleure Rolland, le vieux gérant. Il a tort bien-sûr, car dans ces terres peuplées de pendulaires, d’Allobroges et d’allophones, tu sais que la ville est à la campagne et la campagne à la ville. Plus d’air, plus de bruit, plus de fusions, plus de rires, plus de cris, plus de larmes aussi, plus de vie.

Vers Reverolle roule un car postal
(Un d’Berolle voyage en char agricole).
Une carte postale de Préverenges-plage :
L’Espagnol l’appelle sa Costa del Sol !

L’Isle a vu la Venoge voir le jour,
Tomber du Jura comme d’un abat-jour.
Sur le Léman, santé l’Aubonne !
Sur le Léman, vive l’Hexagone !

Vergers couverts et bois rebiolés.
Rien ne dépasse. Sinon l’or des clochers.
Sur chacun d’eux veille un gallinacé.
Les douze coups de midi. Il est l’heure de rentrer.

Un refrain de chez toi ? Rien ne vient. Sinon ce frisson qui festoie en silence. À partir de là, de t’éteindre soudain, tu te dis pour toi : « aucune importance ».

Titre : devise gravée sur la Tour de l’horloge, à Saint-Prex.
(publié dans le Journal de Morges le 4 septembre 2009)

Monsieur et Madame Enpagedeu ont une fille et deux fils

Salut. Tu te trouves vraisemblablement en Valais. Pas moi. J’ai les vignes à Morges, enfin, en dessus de Morges, pour être honnête. Le Nouvelliste, c’était un mot plein d’espoir sur le maillot d’Aziz Bouderballah, quand j’avais neuf ans. Je ne suis plus protestant depuis l’âge de raison, et encore moins catholique, crois-moi. J’aime pas carnaval et ne peux nommer que sept de tes treize étoiles. Bref, je n’ai rien à faire ici.
Salut. C’est encore moi. Pour être tout à fait honnête (oui, même dans un quotidien), j’avais parié une absinthe du Val-de-Travers avec un scribe genevois (que tu liras ici même lundi) que je perpétrai un « monsieur et madame ont un fils » dans LE quotidien valaisan. Un vrai défi de «synergie transcantonale» qui vient d’être relevé. La gueule de bois est une chose. Ensuite, il me faudra l’ouvrir, assumer, écrire ici mes quatre vérités, avec régularité, polémiquer.
Sion, we have a problem. J’ai été, comme ceux de ma génération, élevé en fût postmoderne. Je ne crois qu’aux idées paradoxales. Insouciance, identité multiple et ironie sont des formules qui me parlent. Je connais les bonheurs insoupçonnés de la précarité et des ruptures en tout genre. Je participe au culte de l’ignorance crasse et vois, comme toi, s’éteindre les derniers véritables journalistes, forcés de se convertir, dans l’indifférence générale. Bref, je n’ai aucune idée, digne de ce nom.
Il me faut assumer, disais-je. Je te promets donc pour la prochaine fois une chronique brodée de convictions. Si possible sans évoquer la saga du grand méchant loup (tant de conneries ont été écrites sur son compte). Ni l’après-Couchepin («pour lire un livre, il faut avoir du silence, ou alors avoir du bruit qu’on n’écoute pas», Tard pour bar, 18.06.09). Encore moins l’entreprise Constantin («mon week-end idéal, c’est quand je gagne un match de football le dimanche», 24 Heures, 10.01.09). Tiens, il se pourrait bien que je parle de ceux qui vivent en Libye, sans être dictateurs.
J’ai commencé mon travail d’immersion, me suis baigné au lieu-dit les Iles, ai ingurgité plusieurs rubriques du Nouvelliste, sirotté le blog de Lagreu et même sifflé La Loi de la Jungle d’Éric Felley.
La fille et les deux fils de Monsieur et Madame Enpagedeu s’appellent Iva, Paul et Mickey.
(paru dans Le Nouvelliste le 4 sept 2009)