vendredi 30 octobre 2009

« Pour ne pas [plus] être des bêtes les uns pour les autres »

Il est des fous qui parlent vrai : « ceux qui disent oui ou non n'expriment pas réellement leur volonté, mais sont bâillonnés au nom de la démocratie. Il ne leur est permis de prononcer qu'un seul mot : oui ou non. C'est alors le système dictatorial le plus répressif », écrit Kadhafi dans son Livre vert.
Le 29 novembre, les minarets.
Combien coûte une votation fédérale ? Combien de Suisses voteront « non », pensant dire non aux minarets ? Quand dira-t-on définitivement non aux nuisances visuelles des antennes de téléphonie mobile, ces signes ostentatoires de religion (du latin « religare », relier) ? Non aux nuisances sonores des cloches dominicales (une initiative qu’une majorité laïque aurait raison de lancer) ? Pourquoi des votations fédérales si, selon la Constitution, « la réglementation des rapports entre l’Église et l’État est du ressort des cantons » ? Comment dire non aux minarets, si ce refus bafoue la Convention européenne des Droits de l’Homme (art. 9 : « la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ») ? Et cætera.
Un vote n’est qu’un bulletin. Oui ou non. Ne devrions-nous pas investir notre énergie dans un véritable « accueil » des 300'000 Musulmans vivant en Suisse ? Dis, as-tu de bons amis musulmans ? Et si, entre une propagande fédérale et une polémique médiatique, tu allais débattre des minarets avec un Kosovar, une Bosniaque, un Turc ou une Albanaise ?...
Des cinémas proposent actuellement le documentaire Bassidji, réalisé par Mehran Tamadon (les salles valaisannes ne semblent hélas pas intéressées). Les « bassidji » sont les défenseurs extrémistes de la République islamique d’Iran ; le réalisateur est un Iranien arrivé en France à l'âge de 12 ans, athée et fils de militants communistes :
« Malgré mes craintes, je me suis efforcé de poser de vraies questions, de donner honnêtement mon avis tout en répondant moi aussi aux questions qui m’étaient posées. J’ai tenté de renouer, malgré les oppositions fondamentales et les désaccords insurmontables, une discussion que des personnes appartenant à une même société se doivent d’avoir entre elles si elles ne veulent pas être des bêtes les unes pour les autres ».
Une réussite. Mehran Tamadon a visé l’objectif ultime de la politique : tenter de vivre ensemble.
(publié dans Le Nouvelliste le 30 octobre 2009)

samedi 17 octobre 2009

Lire + écrire = bonheur intérieur brut

Dimanche 4 octobre, à l'heure de la messe, dans la Maison Supersaxo, à Sion. L’écrivain Bastien Fournier avait convié une dizaine d’autres écrivains à débattre des heurts et malheurs de la littérature suisse romande... en France.
Germain Clavien d'abord. Paris ne s'intéresse pas à nous, point. Narcisse Praz de réagir. Et bien, unissons-nous pour mieux passer la frontière ! L’enthousiasme n’est pas majoritaire. Si Partick Rossier condamne le manque d'identité régionale des lettres romandes, Isabelle Flückiger se considère, en réaction, comme écrivain du monde. Si Jérôme Meizoz rappelle qu’historiquement la « littérature alpine suisse » était un choix gouvernemental abondamment subventionné, Nicolas Couchepin note qu’actuellement il n’y a simplement pas assez d'argent pour exporter la littérature suisse romande. Enfin, Eugène (qui n’a visiblement pas apprécié de s’être levé tôt pour entendre des gens se plaindre) se réjouit malgé tout de la création de nouvelles éditions telles que Cousumouche à Genève (Fred Boquet était là) ou Castagniééé à Vevey (Alain Freudiger aussi). Alain Bagnoud écoute.
Bien. Et si l’on retournait le problème ? Paris a besoin de nous. Paris a besoin de littérature périphérique. Paris a besoin d’oxygène, de recul et de silence. Alors oui, parfois, un Suisse est invité à « monter » à Paris. Mais ce dimanche-là, étrangement, je ne souhaitais à personne d'entre nous de « réussir » à Paris, car « milliers d'exemplaires » et « passages télé » sont les termes d’une langue ennemie.
L'engagement artistique est ailleurs. Il est dans l'espace : refaire le monde, se remondialiser, se retirer, retrouver une identité, une région, une langue, un accent, sans racisme ni cynisme. Il est aussi dans le temps : lutter contre le surmenage, l’urgence, la concurrence et l’hyperconsommation obsessionnelle.
Au-delà de sa publication et de sa diffusion, la littérature redevient ainsi une rencontre intense qui demande une attention complète, une empathie aussi profonde que réciproque, un bien-vivre durable, du bonheur intérieur brut. En cela, la littérature répond à la crise. « Slow Movement », disent certains. Une forme de désobéissance civile qui recrée du lien social là où il n’y en a plus.
Et merde pour Paris qui voudrait tant, quant à elle, « réussir » sur le marché... anglo-saxon !
(publié dans Le Nouvelliste le 17 octobre 2009)

vendredi 9 octobre 2009

Tu te souviens ? C’était… en 9 !

On n’avait plus vu pareil massacre depuis l’an 75 du siècle précédent. Un 23 juillet comme si c’était hier. La colonne sombre sur le Jura, la nuit noire en plein après-midi, la fenêtre de la chambre à coucher qui claque, le canon à grêle, ou était-ce la foudre ?, des salves de projectiles « de la taille d’une balle de golfe », ils ont dit, cinq minutes, l’Enfer.
Puis plus rien sinon le silence. Le grand beau par-dessus le tapis blanc d’une morte saison.
À Bremblens, la vigne était foutue, une année de boulot, plouf ! Et pas une goutte de pluie sur le voisin de Denges ! La grande injustice. « J'ai pleuré. Tant de choses à faire. Je ne savais pas par où commencer », l’un a dit. « Afin que l’expertise se fasse rapidement, utilisez le formulaire rose ou annoncez le dommage en ligne», l’autre a écrit. On a fait marcher l’assurance pour remplacer la vieille auto bosselée, on s’est inscrit dans la liste d’attente du vitrier, on a planté une étiquette rouge dans les cultures, on a chiffré la casse, on a évalué les indemnités.
Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul grêlon. Dans un frigidaire. Un grêlon qui fond un peu plus chaque fois qu’il passe dans les mains des invités pour témoigner de la violence du massacre. Les invités ouvrent de grands yeux désolés.
Aujourd’hui, alors qu’un charpentier retape le toit d’un hangar voisin, on vendange, on vendange même à Bremblens, on chiffre la récolte, on est déçu en bien, on évalue le sucre, « le millésime 2009 sera exceptionnel », ils ont dit, et, pour peu, on saluerait la clémence des dieux…
…s’il n’y avait dans la Feuille du jour un mot sur les commerces, hôpitaux, écoles, musées, mosquées et églises effondrés comme des châteaux de cartes en Indonésie. Un millier de morts, des milliers d’ensevelis, un séisme, deux minutes.
Alors, on fait le poing dans sa poche, on a plus envie de chiffrer la casse, d’évaluer les indemnités, on a envie d’en tirebouchonner une de l’an 8 pour se souvenir d’un jour de juillet qui ne nous a pas volé l’essentiel. Santé ! Et pour rafraîchir le sirop du petit, plouf, le grêlon du frigidaire ! Allez, petit, à l’an neuf !
(publié dans le Journal de Morges le 9 octobre 2009)

samedi 3 octobre 2009

Jouir sans entraves au temps… de la grippe porcine

En vrac, sans remonter à Verlaine, Baudelaire, Flaubert, Gide et d’autres grandes personnes soucieuses de « former » nos chères têtes blondes, on retiendra Les Amitiés particulières de Roger Peyrefitte (1943), La Ville dont le prince est un enfant de Henry de Montherlant (1951), Lolita de Vladimir Nabokov (1955), Paysage de fantaisie de Tony Duvert (1973), Les Moins de seize ans de Gabriel Matzneff (1974)…
Mais tu as raison, on ne doit pas amalgamer l’œuvre d’art (tout est possible) et l’artiste (poète, vos papiers). Alors ?
À l’âge de 29 ans, Charlie Chaplin épouse Mildred Harris, 17 ans (1919), puis Lita Grey, 16 ans (1924). Mia Farrow quitte Woody Allen, après avoir découvert qu’il détenait des photographies de sa fille adoptive, entièrement nue (1992). L’acteur Charlie Sheen, accusé par son ex-épouse de visionner des films pédophiles, entend prouver son innocence en incarnant sur grand écran un père de famille qui part à la chasse… aux pédophiles (2009).
Aujourd’hui, l’affaire Polanski.
Une intervention « peu sympathique », selon Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères ; en 1977, il cosignait une pétition en faveur d’inculpés maintenus en détention provisoire dans une affaire de pédophilie (« les enfants n’ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d’instruction qu’ils étaient consentants »).
« Absolument épouvantable », juge Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, peinant à comprendre cette arrestation « pour une histoire ancienne qui n'a pas vraiment de sens » ; en 2005, dans La Mauvaise Vie, il se repentait d’avoir couché avec des garçons, en Thaïlande.
Reste le député européen Daniel Cohn Bendit qui rappelle qu'il y a eu viol sur une fillette de 13 ans et « qu'un ministre de la Culture, même s'il s'appelle Mitterrand, devrait dire : j'attends de voir les dossiers » ; en 1975, il évoquait ses activités d’aide-éducateur dans Le Grand Bazard : « il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller […] S’ils insistaient, je les caressais quand même ».
Au secours. Pitié. Quelqu’un à la rescousse.
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir » ; La Fontaine adressait aux enfants, mais surtout aux adultes, ses Animaux malades… de la peste.
(publié dans Le Nouvelliste le 3 octobre 2009)