jeudi 24 juin 2010

Le foot à la télé interdit aux moins de 16 ans...

Dites, à quoi bon vous casser la nénette à éduquer vos petits êtres humains si, entre deux coups de sifflet, les idoles de la Coupe foutent tout en l'air?

Ce tournoi - piètre commedia dell'arte à gros budget - est en effet celui de l'agressivité, du simulacre et de la vulgarité. Pas bien de frapper: le vilain coup de pied du Nigérian Kaita (menacé de mort ensuite par ses supporters suite à son expulsion...). Pas bien de tricher: le cou de coude feint de l'Ivoirien Keita face au Brésilien Kaka (et les simulations suisso-chiliennes...). Pas bien d'être grossier: «Va te faire enculer, sale fils de pute», titrait en Une L'Equipe du 19 juin suite aux insultes du Français Anelka (la première fois qu'un Noir est expulsé d'Afrique vers l'Europe...).

Et puis, d'un autre côté, on se dit qu'il faudrait imposer la Coupe aux petits êtres humains, car elle offre une initiation aux règles du jeu de notre société moderne:

Précarité. On peut être le héros d'une nation, numéro 10, la veille, et l'ennemi public numéro 1 le lendemain. L'industrie du sport sait en effet fabriquer des stars avec des jeunes mal formés, infantilisés, aliénés, surprotégés, incapables d'éviter les pièges de la réussite éclair.

Injustice. On peut filtrer le brouhaha des vuvuzelas, mais on peine à effacer la déception des Africains (dont la FIFA avait promis que ce serait «leur» Coupe), presque tous éliminés prématurément, par manque de pragmatisme, par manque d'argent surtout. Dura lex sed lex : un Africain qui réussit est un Africain qui a quitté son continent pour adopter la nationalité du premier club venu.

Frilosité. Les gagnants de cette Coupe sont les fourmis qui barricadent leur surface de réparation, pas les cigales qui se font plaisir. Ainsi, en pleine crise contre l'Espagne (qui se souviendra bientôt qu'elle est, elle, vraiment en crise...), la Suisse a tiré son épingle du jeu en misant sur un froid hermétisme ponctué de lâches estocades.

Immigration. Touche positive enfin. La Coupe rappelle les atouts du métissage. La Suisse redevient une terre d'immigration et d'asile ouverte aux «secondos» et aux «terzos». La preuve par neuf: Behrami (Serbie), Benaglio (Italie), Derdiyok (Turquie), Fernandes (Cap Vert), Inler (Turquie), Nkufo (Zaïre), Yakin (Turquie), Vonlanthen (Colombie) et Senderos (Espagne). Jamais la Suisse ne serait ce qu'elle est (qualifiée à la Coupe) sans eux.

(publié dans Le Nouvelliste)

mardi 22 juin 2010

«Pays de continuité et de lente tradition»...

Samedi dernier, flânant parmi les bouquinistes du marché de la Riponne, je suis tombé sur un petit livre écrit en 1952 par Emmanuel Buenzod sobrement intitulé Morges. On y trouve des phrases délicieuses : «c’est ici un pays de petite histoire, un pays de continuité et de lente tradition».
C’est un texte qui a vieilli, bercé par les remugles héroïques de la Mob, célébrant la «sagesse placide» et la «diffuse mélancolie» des Morgiens. C’est malgré tout un texte qui questionne : «la prudence, la bonhommie, la malice du paysan vaudois n’exprime qu’une part de sa nature, laquelle est à la ressemblance du pays, c'est-à-dire à la fois tenace et ouverte, laborieuse et bizarrement disponible, attentive et pourtant en instance d’évasion».
Evasion. Fait d’échapper au quotidien. Et pourtant. Chaque fois que je fréquente la gare de Morges, je ressens le même serrement de cœur, j’ai mal à cette jeunesse agglutinée sur la place, à la terrasse d’un fast-food, fumant des clopes pour se désennuyer, s’évader un peu, oublier le décor, ce temple austère, cette autoroute, ce musée militaire.
«On comprendrait mal certaine lenteur, certaine prudence, certain conservatisme inhérent à l’esprit de la cité, si l’on ignorait que Morges, Morges-l’Orgueilleuse, Morges-la-Coquette, la Weimar de la Suisse romande, vit avant tout de son arrière-pays», poursuit Emmanuel Buenzod.
Il avait raison. Il faut écouter l’«arrière-pays», ces villages qui jouxtent Morges. Dans le désordre et sans être exhaustif : à Denens, le Berles Rock Festival (30-31 juillet), à Villars-sous-Yens, le Giron des Jeunesses de l'Aubonne (8-11 juillet), à Saint-Prex, le Festival de chant, musique et danse (20-28 août), à Echandens, un Caveau que le chanteur Sarclo avait élu «meilleure salle de Suisse romande», à Préverenge… sa plage, ce joyeux remue-ménage qui fait un bien fou à toute une région, jeunesse comprise (et merde pour ces quelques propriétaires aux narines et aux tympans chatouilleux, non ?).
Puisse-t-on parfois troquer la prudence contre ce qu’il faut de disponibilité pour que l’évasion ne soit plus un luxe.
(publié dans le Journal de Morges)

dimanche 13 juin 2010

Pourtant, que la montagne est belle...

Si on lui avait laissé le choix, il aurait préféré ne pas avoir à renverser une «boîte à meuh» pour que le petit puisse entendre un meuglement de vache. L'emmener là-haut, lui expliquer que le lait est tiré de ces tétines-là, grâce au savoir-faire de ce vacher-ci, lui montrer comment l'herbe fraîche dans laquelle il joue devient fromage à pâte dure.

Lui faire comprendre que la paysannerie n'est pas une industrie comme les autres, qu'être paysan, c'est moins un métier qu'un mode de vie, que la montagne sans les bêtes, ce n'est plus la montagne.

Cela, c'était un peu avant la disneylandisation des Alpes, cette place de jeu grandeur nature offerte en défouloir à tout un continent, avant cet objet marketing, le drapeau rouge à croix blanche, ce que la ville dit être authentique, avant le réduit national des offices de tourisme, avant les paires de bâtons télescopiques, le trekking en compagnie de lamas et les nuits sous des yourtes mongoles, avant que les vachers polonais se fassent photographier par des touristes hollandais qui auraient tant voulu pour leur fin de semaine de la neige dans les hauteurs et du soleil autour du lac.

Aujourd'hui, ne subsistent que de beaux livres illustrés, les cornes limées des reines de Martigny et le calendrier 2010 des paysannes suisses.

Heidi salue, «standing ovation» à la fin de sa comédie musicale.

Il n'y a plus rien dans les Alpes d'essentiel. C'est du relief qui traverse l'Europe, en se foutant des frontières.

L'amour de la montagne, la déclinaison de ses sommets, la méditation, le bon air, le silence... La montagne, c'est de la tectonique, rien de plus.

Alors à quoi bon se plier en quatre pour un consommateur qui ne sait plus différencier un produit industriel d'un produit artisanal? Le fromage importé ne nourrit-il pas tout autant?

Et vous, paysans pleurnichards, dites, qui a vendu les terrains où se sont construits les grands hôtels?

Dans le séjour douillet d'une maison de retraite, près d'une fenêtre ouverte, un vieux vacher en roule une. Il a vu se construire les remontées mécaniques. Il a vu le prix du litre de lait passer sous la barre de 1 franc. Il a vu se construire la route goudronnée. Il a vu monter la première bétaillère. Il a vu la forêt remplacer ses pâturages.

En parcourant des yeux la montagne, il ne se souvient pourtant que des bons moments.

(publié dans Le Nouvelliste)