lundi 1 novembre 2010

Voyages en Malgachie


Mita be tsy lanin'ny mamba.


Quand on est plusieurs pour traverser la rivière, on n'est pas dévoré par les caïmans.




Qu’ajouter à ce qui a déjà été raconté ? Pourquoi associer les images du langage au langage de tes images ? Plutôt rester silencieux dans la déambulation, jouir de cette parenthèse vacante dans l’urgence des semaines qui s’enroulent autour des jours comme la queue de ce caméléon que tu n’aurais peut-être pas pris le temps de capturer, ici, au pays.
Mais l’hiver se prépare à recouvrir "Madagascar", ce mot-valise qui pendant des années me faisait lever l’ancre et gonfler les voiles...
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Une pièce d’art brut (un bus grand comme le bras taillé dans un atomiseur d’insecticide), une fiole de vieux rhum à la vanille (ce qu’il en reste), de la confiture de baobab (un aigre-doux qui trahit la douceur de ton paysage, ces trois racines tendues vers le ciel) et la douzième piste d’un disque piraté des VHF, celle qui passait en boucle dans les taxi-brousse... Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Peut-être, au beau milieu de la Grande Île, l’union du riz et de l’eau, le remède à presque tous leurs maux : un mot masculin, un mot féminin, beaucoup d’énergie. Le labour à la bêche, le piétinement au zébu, les semailles, les récoltes… Nous sommes comme l’eau et le riz qui, dans la rivière, ne se séparent pas et, dans le village, ne se quittent pas, car nous tous, qui ne sommes qu’une seule personne, provenons de la même souche, bien parlé, Ravelomoria !

C’est aussi une heure d’Eternité sur une pirogue à balancier taillée dans le tronc d’un seul arbre. Derrière nous, un pêcheur Vezo fait de sa pagaie un gouvernail. Devant nous, un autre pêcheur Vezo montre du doigt le dos de deux merveilles du monde, deux baleines à bosse venues de l’Antarctique pour s’accoupler dans les eaux côtières malgaches. Une heure de ballet invraisemblable, la beauté sur la mer, la conscience aux aguets, à fumer, à aimer, à ouvrir tout grand deux yeux émus.

C’est donc bien de bonheur dont il est question, du bonheur glané dans l’un des dix pays les plus démunis de la planète (53 ans d’espérance de vie), un pays de jeunes mendiants et de vieux corrompus, un pays sans président depuis le coup d’état de l’an dernier. Processus de démocratisation, malgachisation, cinquantenaire de l’Indépendance, réformes agraires et grands travaux sont de bonnes blagues, car seul l’humanitaire ne connaît pas la crise, et encore. Les ancêtres se taisent, les jeunes rechargent leur téléphone portable aux génératrices du marché et deux amoureux dégustent en tête-à-tête du foie gras de canard au Tsara, l’une des meilleures tables du pays.
Malaise aussi, de courte durée, assis confortablement dans un pousse-pousse tiré par un vieillard va-nu-pied qui se retourne pour bavarder afin d’étoffer son pourboire, et qui attend devant la porte glaciale d’un restaurant d’Antsirabé, et que l’on éconduit malgré tout parce que l’on trouve "so romantic" de rentrer à pied, et à qui l’on ne trouve rien de mieux à dire que : « désolé, veloum ! ».

C’est une langue dans laquelle Antananarivo signifie ville des milles, Antsirabe, riche en sel et Fianarantsoa, ville où l’on apprend le bien. Une langue qui donne du sens à ses jours (mardi : jour gai, multicolore, idéal pour gamberger, batifoler et s’oublier, racontait l’écrivain Corinne Desarzens). Une langue à dictons : « hazo tokana tsy mba ala » (un seul arbre ne fait pas une forêt) ou alors « olon-drery tsy mba vahoaka » (un seul ne fait pas la foule). Se révèle alors l’aspect collectif de la chose, lorsqu’il s’agit par exemple de bâtir une maison ou de travailler une rizière. Les amis, les voisins et la famille sont leur sécurité sociale.

C’est bien entendu les samossa, les galettes de manioc, les beignets de banane ou les brochettes de zébu que l’on échange contre quelques ariary en attendant un taxi-brousse. Puis c’est ta tête qui sommeille sur mon épaule au gré des virages de la N7 et des collines de l’Imerina, au gré de villages formés de cases aux murs de torchis et au toit de chaume. Les rizières, comme des miroirs, font voir un peu plus clair.

C’est un train SBB offert par la Direction du Développement et de la Coopération, de très vieilles machines qui s’ébranlent enfin, après une matinée de retard, pour passer en revue les fours à briques de Fianarantsoa, les arbres du voyageur, les fougères, les lianes, les bambous, les 56 tunnels, les 52 ponts, les chutes d’eau et l’Océan. A l’intérieur des wagons, debout, les parents de jeunes volontaires humanitaires - en train de vivre des expériences bouleversantes - prennent des photos.

C’est un mois d’août un peu frais sur les hauts plateaux, douze heures de randonnée dans un décor brumeux, humide, fragile, enchanteur, un crépuscule irréel au col qui mène à la vallée de Tsaranoro et une arrivée dans la nuit pour partager autour d’un feu le riz-alimentation-de-base.

C’est la ville de Tuléar, presque l’Inde, sa paresse humide et crasseuse, ses banians, ses rickshaws, ses night-clubs que l’on préfère ne pas connaître, et la maladie dans un grand lit blanc.

C’est le retour à Tana, des heures de route, un millier de kilomètres, le royaume de la savane et des épineux, les arbres bouteilles d’un village photogénique et les gigantesques tombes mahafaly qui narguent la misère des vivants, les cultures sur brûlis et les forêts disparues, les sacs de charbons et les sacs tressés de jonc, les éleveurs, sagaie à la main, vêtus d’un lamba, faisant paître leur troupeau de zébus (élevage contemplatif) et les cultivateurs, minuscules taches noires dans l’immense patchwork verdoyant de leurs rizières...

C’est au final une joie de vivre endémique – nul besoin de sacrifier un zébu - la légèreté de l’Afrique (la discrétion en plus) et l’intensité de l’Asie (le vacarme en moins), du rouge et du vert… On s’en souviendra comme d’une île qui dérive mora-mora entre nos deux continents.

Photographies de Virginie (été 2010)