mercredi 4 mai 2011

Carte postale d’Indonésie

Honte à moi, gagner l’Indonésie, le plus grand pays musulman du monde... en pleines fêtes de Pâques !

Histoire de me faire pardonner, recevez cette carte postale en forme de chronique.

Sur le recto, la photo d’un pauvre bougre, la tignasse poussiéreuse, un foulard lui protégeant le visage, torse nu, en tongs. En équilibre sur ses épaules trouées, deux fois quarante kilos de souffre. Et il souffre, justement, en gravissant le cratère du volcan Ijen. Derrière lui, un lac turquoise, acide, et des effets fumigènes ma foi très photogéniques. La misère humaine et la beauté du monde. Du contraste, du pathos, de l’esthétique, du tragique, la photo dont rêve en somme tout voyageur...

Sur le verso de la carte, une adresse, la vôtre, et sur le timbre… j’aurais volontiers vu un Papou luttant avec ses flèches contre une société minière… mais n’ai trouvé que le portrait défraîchi d’un président mort depuis longtemps. Enfin, sur la gauche, quelques lignes quasi illisibles :


« Un grand bonjour d’Indonésie ! En bon Suisse, j’ai pris le parti de l’altitude, et suis tombé amoureux des volcans. Un amour polygame… puisque le pays en compte plus de 400 !

Dans le cratère de l’Ijen, j'ai essayé de soulever la charge de souffre d’un porteur décharné, en vain. Il m’a souri, je me suis senti tout petit.

Sur l’arrête du Bromo, j’ai entendu gronder les entrailles de la terre et vu s’élever d’immenses colonnes de fumée, je me suis senti très vivant.

Aujourd’hui, je suis allé voir les paysages de cendre qu’ont laissés les éruptions meurtrières du Merapi ces derniers mois. J’y ai rencontré Adhi. Qui a mon âge. Qui a perdu son père dans la catastrophe, et puis sa maison, et puis sa récolte. Adhi vend donc aux touristes de mon acabit des DVD artisanaux du désastre. Il me sourit, me demande comment je trouve l’Indonésie. Et je me sens bien con.

Du tourisme noir. Morbide, macabre. Il est temps de rentrer, je crois, et m’occuper de mes propres catastrophes… »


Car dans le cybercafé de Jogjakarta (un tremblement de terre y a fait 5’782 morts en 2006) d’où j’envoie cette chronique, je lis dans les gros titres de la presse helvétique : Repas maigre pour les vaches suisses, Les tomates rougissent, les rivières tarissent, etc.

Le philosophe avait raison, il faut cultiver notre jardin.