lundi 6 juin 2011

Tout miser sur l’imprévisible

A l’ère de la Modération, cette volonté de stabiliser, de réduire les hauts et les bas de la vie, comment concevoir la crise des subprimes, les révolutions arabes ou la sordide affaire DSK ?

« Considérez le grain de poivre et mesurez la force de l’éternuement », dit un proverbe persan. Et franchement, qui aurait pu prévoir qu’un petit marchand de rue tunisien sache chasser un dictateur, puis deux, puis trois ou quatre ? Et à quoi le monde arabe ressemblera-t-il dans dix ans ?

Qui aurait misé un centime sur un DSK menotté en route pour la prison de Rykers Island ? Et quelles en seront les conséquences pour la France et le FMI ? Enfin un directeur issu d'un pays émergeant ?...

Il faut (re)lire Nassim Nicholas Taleb, l’auteur du best-seller Le Cygne noir (ce titre rappelle que les Européens avaient toujours cru que tous les cygnes étaient blancs… avant d’en découvrir des noirs en Australie). Pour cet ancien trader, l’homme n’est habitué à concevoir l’avenir qu’à la lumière du passé. Eduqué à appliquer des théories simples à des réalités confuses, il voit le monde comme une courbe de Gauss, avec quelques rares extrêmes de part et d’autre d’une grande masse stable. Pourtant, ce sont le plus souvent l'inconnu et l’improbable qui guident nos destinées.

Taleb prend l’exemple cocasse d’une dinde de Thanksgiving : bien nourrie et choyée en vue de la Fête, elle pourrait en déduire que la vie est douce… mais du jour au lendemain, la voilà dans une casserole !

L’homme n’est pas si différent, que ce soit pour le pire (« le cancer, ça n’arrive qu’aux autres… »), ou le meilleur (« moi, le coup de foudre ? »). Il a un besoin insatiable de rationnaliser son environnement. Conditionné pour s’adapter à une société de cygnes blancs, il efface artificiellement toute pensée volatile. Mais l’actualité de ces derniers mois semble confirmer qu’à trop vouloir stabiliser, tout finit par exploser :

Les états ont voulu réguler le marché en procédant à des renflouements, en créant des entreprises trop grosses pour sombrer. Au final ? Une crise mondiale.

L’Occident a soutenu des régimes dictatoriaux pour éviter d’hypothétiques débordements islamistes. Au final ? Des révolutions en cascade.

Les médias ont construit un présidentiable, directeur du FMI, marié à une femme belle et intelligente. Au final ?…

Bien. Qu’en conclure ? Qu’il faut peut-être laisser plus de place à l’imprévu. Accepter que la vie, c’est avant tout du désordre. Et écouter Rousseau : « un peu d’agitation donne du ressort aux âmes, et ce qui fait vraiment prospérer l’espèce est moins la paix que la liberté ».