mercredi 22 février 2012

Un livre, ça n’a pas de prix !

Votations du 11 mars : OUI à la réglementation du prix du livre !

Quand je fais mes courses chez le «géant orange», j’échoue immanquablement sur une petite cinquantaine de livres, des «meilleures ventes» aux prix cassés ; si le magasinier sait où se trouvent le rayon «livre», il ignore tout du contenu.
Quand je fais mes paiements chez le «géant jaune», je prend un ticket d’attente, soupire, puis ouvre au hasard cette même petite cinquantaine de livres à gros tirages (l’idéal pour allumer une cheminée ?) ; la postière n’a pas le temps de parler littérature.
Maira Kalman
Quand j’ai voulu passer à la libraire des Yeux Fertiles, à Lausanne, je me suis souvenu qu’elle avait dû fermer en décembre dernier. Tout comme, peu avant, l’historique librairie Descombes à Genève.
Restent alors les onze branches romandes du groupe français Lagardère (Payot), les quatre tentacules, bientôt pilotées depuis la France, qui ont fait disparaître la moitié des librairies indépendantes entre 2000 et 2004 (FNAC), une amazone numérique et sa liseuse (des acheteurs qui viennent repérer des livres en librairies pour les commander ensuite sur internet, un tiers moins cher) et les derniers libraires indépendants.
Une dernière volonté ? Foncer chez l’un de ces irréductibles libraires, emmener tout ce que mon entourage compte d’enfants pour leur montrer ce que l’on appelait jadis «librairie», qu’ils ouvrent au hasard des livres sur les rayons, qu’ils bavardent avec ce que l’on appelait «libraire», histoire qu’ils puissent raconter cela à leurs enfants…
D’accord, j’exagère.
Et cette votation ne va pas radicalement changer la donne. Mais un «oui» massif donnerait un signal fort: le livre n’est pas un produit comme les autres.
Si cette loi vise l’aspect économique (fin des prix cassés dans les grandes surfaces, réduction du prix des livres importés, limitation des marges des diffuseurs étrangers) et juridique (la France, l’Allemagne et l’Autriche bénéficient déjà d’une loi semblable), elle est avant tout culturelle : maintenir la diversité de l’offre.
Que le livre ait un prix, soit, mais il a surtout une valeur. Valeur idéologique d’abord : la diversité de ses points de vue. Valeur sociale ensuite : les 3’200 artisans suisses du livre (éditeurs, correcteurs, graphistes, polygraphes, imprimeurs, relieurs). Valeur identitaire enfin : l’exception de ce pays polyglotte dont Marc Levy et Harry Potter ne sauront jamais parler.

dimanche 19 février 2012

Le temps ne fait rien à l’affaire...

Pour les besoins d’un spectacle rendant hommage aux chansons de la Renaissance, j’ai pu me demander à quoi ressemblait la région au XVIème siècle et... il est toujours surprenant d’y lire - avec cinq siècles d’avance ! - les grandes lignes de notre propre actualité, comme si l’Histoire, cette vieille dame, radotait.
1537. L’Europe a peur, contaminée qu’elle est par un nombre grandissant de gens qui pensent différemment, des Protestants. L’Allemagne excommunie, la France massacre, et la Suisse – jadis déjà - hésite. En Pays de Vaud, la conversion à la foi de l’occupant bernois fait peu d’étincelles. Quoique. Car l’Histoire raconte qu’en l’an 1537, à Romanel-sur-Morges, tous les hommes de plus de 18 ans furent pendus pour avoir assassiné un pasteur !
1545. Morges crie famine. On se nourrit de racines, d’herbe ; des familles errent dans les campagnes à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent ; les paysans mangent les graines qu’ils devaient semer ; et il est désormais interdit de vendre du pain… à des étrangers.
1566. La peste prend le relai (c’était trois siècles avant que le docteur Yersin donne son nom à une rue de Morges). Les coupables sont vite désignés, et une garde spéciale, les «chasse-coquins», reçoivent pour mission d’expulser les responsables de cette épidémie, oui, les étrangers...
Refermant mon livre d’histoire, j’allume la télé : tout sourire, monsieur Rochebin raconte qu’au Nigéria, des fanatiques musulmans ouvrent le feu sur des dizaines de Chrétiens (qui, entre nous, le leur rendent bien dans d’autres coins de cette planète !) ; que la famine que connait la Corne de l’Afrique touche 250’000 personnes ; et que la peste a fait son retour à Madagascar...
Vrai que depuis que l’homme écrit l’histoire, il annone les mêmes refrains. Certains braillent des slogans révolutionnaires – mais hélas déjà nostalgiques - sur la Place Tahrir ; d’autres entonnent, comme Céline Dion dans le film Titanic, la chanson «My heart will go on» sur un paquebot italien.
Extrait du spectacle :

Vous avez lu le programme et ne comprenez toujours pas pourquoi les chansons courtoises de la Renaissance fricotent avec les chansons grivoises de Georges Brassens. La réponse est simple : Brassens est un troubadour. Et cela pour plusieurs raisons :
D’abord, il en a passé, des journées, à la bibliothèque du XIVème, à Paris (à quelque pas de l’impasse Florimont), à fourrer son nez dans les auteurs de la Renaissance : Montaigne, Rabelais, Ronsard surtout ! Il a même mis en chanson le poète voyou François Villon, « pour le faire découvrir à l’ouvrier », disait-il.
Ensuite, Brassens, comme les troubadours, est un artiste populaire. Son modèle ? Charles Trenet. Il refuse l’étiquette de « poète », s’oppose à la création hermétique, et milite pour « le droit de tous à la poésie ». Pour ça, il a ses combines. Il camouffle ses poèmes... en chansons. Puis il débarque sur scène, tenant sa guitare comme un paysan porterait une pioche en allant au champ. Il chante, avec la voix d’un ami venu rappeler de bons moments partagés.
De même, comme les troubadours, Brassens a du goût pour les chansons de garde… Il chante volontiers l’intimité des femmes : « Le blason », « Vénus Callipyge » ou « Quatre-vingt quinze fois sur cent, la femme s’em… ». Il glisse des jurons de chez lui, le fameux « coquin de sort » des « Copains d’abord », cuisine l’adjectif « con » à toutes les sauces,  et invente des mots: « s’enjuponner », « gendarmicide », « avoir du savoir-boire ».
Enfin, Brassens, comme les troubadours, est profondément attaché à la liberté de la femme ; souvenez-vous d’« Embrasse-les tous, embrasse-les tous, Dieu reconnaîtra le sien », et voici, en guise d’amuse-bouche, avant l'entracte « La chasse aux papillons ».

[…]


 
Mais pourquoi s’acharner à vouloir reprendre Brassens ? Tant de gens lui ont déjà fait du mal. Songez à la reprises de « Fernande » par Carla Sarkozy, ou pire, « Je me suis fait tout petit » par Christophe Maé !
Et puis, Brassens, il n’a jamais voulu d’orchestre. Il aimait dire : « quand tu chantes une chanson à un copain, il n’y a pas quarante violons cachés dans le placard ».
Et puis, Brassens, sauf une fois, pour une chanson, il n’a jamais voulu de chœur. Car comment un chœur peut-il interpréter des chansons écrites en « je » ? Comment un chœur peut-il transcrire ce ton de confidence, d’intimité ? Et rendre la diction parfaite de Brassens ? Et puis comment dire l'accent chantant du sud... avec l'accent vaudois ?


[…]


Mais vous allez me dire que Brassens, c’est tout de même un ours qui n’a jamais eu ni femme, ni enfants. Un misogyne qui a chanté : « une jolie fleur dans une peau de vache »… Et bien détrompez-vous, car derrière chaque Ninon, Suzon, Margot, Lisette ou Pénélope, se cache une vraie femme, LA femme de sa vie : la douce « Püppchen ». Un amour au départ clandestin (Püppchen était encore mariée) qui durera 30 ans, jusqu'à la mort de Brassens.
Les plus belles chansons de Brassens sont adressées à cette « Püppchen » : « J’ai rendez-vous avec vous », « Je me suis fait tout petit », « Saturne ». Et puis : « De servante n'ai pas besoin. Et du ménage et de ses soins, je te dispense... Qu'en éternelle fiancée, à la dame de mes pensées, toujours je pense... J’ai l’honneur de… »,
Vous souvenez des principes de l’amour courtois. Eh bien, sachez qu’en 30 ans de complicité, Püppchen et Brassens n’ont jamais habité ensemble… même s’ils se sont toujours débrouillés pour vivre à quelques rues l’un de l’autre… même s’ils se téléphonaient tous les jours… même si elle le suivait très souvent en tournée, dans les coulisses. C’est que Brassens ne voulait pas « dépoétiser » sa douce. Ils préféraient se donner rendez-vous, se surprendre, continuer à se séduire, comme si « rien n’était jamais acquis »…
Dans l’amour courtois, il n’y a que la mort pour réunir véritablement les amants. En 99, quand Püppchen est décédée, on l’a enterrée à Sète, à côté de la tombe de Georges Brassens.