Cette bafouille s’écrit à la main, ça change, ça fait du bien, on se croit petit artisan, et merde pour une dizaine de doigts engourdis par le froid. Assis dans l’herbe encore humide, je suis témoin de ce que les météorologues de profession ont appelé « le dernier jour de l’été indien », un lundi de fin octobre. « Profitez », ont-il ajouté, comme si les beaux jours n’allaient jamais revenir, comme si l’hiver n’avait rien à offrir.
La veille, le passage à l’heure
d’hiver n’a rien ôté au charme du petit matin, cette lumière inouïe, alors j’ai
profité du soleil, né entre la forêt des Charbonnières et le Mont d’Or, des pastels
fugaces, des ombres géantes et d’un lac de l’Hongrin bleu ciel, un vrai lac de
légendes qui sait raconter la naissance de l’astre aux païens de mon acabit.
Les pâturages roux de l’Aveneyre
ont visiblement fait le bonheur des génisses. Grande doit aujourd’hui être leur
nostalgie, dans leur écurie obscure. Les feuillus ont un jaune plus beau encore
que celui de la Poste, les conifères suivront, chacun son tour, on n’est pas
pressé. La forêt reprend ses droits, de jour en jour. Et d’année en année. Elle
semble dire aux paysans : « filez en ville, il n’y a plus assez de
pâturages ici et votre lait ne vaut rien ! ».
Ce matin, la vallée de l’Hongrin est
déserte. Les vachers ont trop bu lors de la fête de la désalpe, à L’Etivaz,
puis ont fait monté la bétaillère, redescendu leur troupeau et fermé boutique. Plus
un bruit - pas même un pet de brume - sinon un avion qui vient strier le ciel.
Sur le coup des dix heures
pourtant, un pêcheur, ravi lui aussi de se retirer, libre et tranquille, me
salue vaguement. Il va pêcher ses six truites réglementaires. Il les offrira à
d’autres, il ne mange pas de poisson. Il est déjà venu jeudi dernier, c’était
magnifique.
C’est le tour des employés
communaux qui enfoncent des piquets orange sur la route qui mène au barrage,
anticipant la neige. Ils semblent dire : « c’est l’heure, on
ferme ». On ferme une vallée comme on ferme un appartement de vacances
après la belle saison.
Sur la route du col de Jaman, j’interrogerai
encore ma race, en croisant d’autres employés, casque antibruit sur les
oreilles, en train de déplacer des feuilles mortes à l’aide d’un souffleur, une
sorte de balai fonctionnant à l’essence…
Alors que vous lisez ceci, les
gencives des Tours d’Aï sont blanches. Les chalets froids, les volets fermés,
les clôtures à terre, les canons des militaires au repos, la faune en paix et les
pâturages en convalescence.
Cette bafouille se termine alors de
tête, à une toute petite allure, des couleurs plein les dents, du soleil plein
les narines, du vent plein les oreilles, amoureux et reconnaissant de ne pas
être né sous des latitudes sans saison, ou comme chantait le poète, dans
« des pays imbéciles où jamais il ne pleut ».
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