Il faut parfois freiner des
quatre fers, lâcher la bride et sortir de l’ornière. Pour cela, un ami connaît
un remède de cheval.
Rendez-vous chez lui, en fin de
journée, quand les couleurs sont belles, dans l’enclave vaudoise de Villars-le
Grand, à une enjambée du lac de Neuchâtel, à un jet de pierre des Friques, le
village contigu qui est fribourgeois (les frontières des hommes perdront assez
vite toute consistance).
Le véhicule s’appelle
« taxi-calèche ». Le moteur s’appelle Persane. A ses heures perdues, cette
jument de 24 ans laboure les vignes d’une exploitation biodynamique (sûr qu’on
a misé sur le bon cheval). Le cocher s’appelle Luca Etter. Persane est sa plus
noble conquête. Luca est photographe et connaît son Vully sur le bout des
doigts. Au bout de ses doigts, justement, un petit verre de Vully.
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Photo : Luca Etter |
Luca prononce le mot
« doucement » et Persane comprend. Le Vully se visite alors à la
juste allure, plutôt au pas qu’au trot (qui veut aller loin ménage sa
monture), suivant le juste itinéraire, hors des sentiers battus.
D’abord, la petite Glâne que l’on
traverse sur un pont de pierre interdit au plus de huit tonnes. Ensuite
l’Arbogne dont les rives sont parsemées de noisetiers et de sureaux. Enfin la
Broye où quelques castors ont élu domicile.
Tout autour, il y a des collines,
des vignes, à coup sûr une vue imprenable sur le lac, mais on préfère rester
dans la plaine, à hauteur d’homme, dans un paysage qui ne monte pas sur ses
grands chevaux, un pays de betterave et de patate, de colza couché par le vent
et de maïs haut comme le bras, de jachères fleuries où l’on peut surprendre une
biche.
Une buse plane dans un ciel
immense.
Des hirondelles font du
rase-motte au milieu d’un troupeau de tachetées rouges de Simmenthal. Cela annonce
le beau mais aussi déjà, hélas, le village terminus. Un village qui abrite un
spa nommé « La Grange » et un projet immobilier intitulé « Les
vergers », des triples mitoyennes qui ne trouvent heureusement pas encore preneurs.
On y rencontre toutefois l’ancien maréchal-ferrant qui complimente la
silhouette de la vieille Persane. Cela met Luca de bonne humeur. Et l’entendre
chanter un petit air du crû : « à Villars-le-Grand sont les cigognes / on
le sait depuis longtemps / ça ne nous fait pas vergogne / c’est plutôt un
compliment… ».
Le clocher sonne huit coups.
L’errance n’aura duré qu’une heure mais au moment de rentrer au bercail, on signerait
volontiers pour un an supplémentaire.
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