jeudi 8 mars 2012

Le Vaudois est mort, vive le Vaudois !

Demandez à un Payernois ce qu’il pense de Jacques Chessex, à un vigneron de Féchy quel goût ont les vins de Saint-Saphorin ou d’Arnex-sur-Orbe, à un Lausannois de déménager au Brassus, ou demandez-leur simplement de vous chanter L’Hymne vaudois...
Qu’il ait vue sur le Moléson, la Dent de Vaulion ou le Gramont, le bon vaudois lèvera alors le menton et vous sondera d’un œil méfiant :

Le Temps, 8.3.2012
- Ici, Monsieur, on n’aime pas tant ceux qui s’occupent de ce qui ne les regarde pas. Que ça vous plaise ou non, sachez qu’on est le seul canton romand à s’appeler encore «Pays», le seul canton suisse à porter une devise sur son blason, le seul canton qui a tout ce qui lui faut : sel, blé et vin, Alpes et Jura, Plateau et lac. Non, ce serait faux de ne pas le dire, même si on a un peu honte d’être fier, «y en a point comme nous» ! Et à ce sujet, sachez que c’est «La Venoge» de Gille qui a inspiré «Le plat pays» de Brel, et non le contraire!

Pourtant, s’il a «un bien joli canton», ce dernier n’a aujourd’hui plus grand-chose de vaudois. Son accent tiède se précise, les protestants sont depuis peu minoritaires, le chasselas se diversifie, les sociétés locales déclinent, les Jeunesses campagnardes recrutent. Bref, les racines s’assèchent.
Les Vaudois se raccrochent donc à de vieilles branches. On fait tourner le verre de blanc, comme il y a 400 ans, en souvenir de l’occupant bernois qui interdisait tout rassemblement. On célèbre le Major Davel, tout en sachant qu’il est une invention du XIXème siècle et qu’il laissait de marbre les Vaudois du XVIIIème. On choisit le général Guisan pour représenter le «Romand du siècle», ressuscitant à travers lui de vrais ennemis aux frontières. On sacralise le regretté Jean-Pascal Delamuraz, déçu en bien d’avoir pu garder pour soi ce bon Pierre-Yves Maillard.
Mais malgré ce travail de mémoire, les vrais Vaudois sont en voie de disparition… et c’est tant mieux ! Car ce canton mérite mieux ! Marre d’être « le seul canton suisse allemand qui parle français », comme disent les Neuchâtelois. Marre d’être ce « flic qui sommeille en chacun d’eux », comme disent les Genevois. S’ils se lèvent toujours aussi tôt, ils se réveillent aujourd’hui un peu moins tard.
Oui, les Vaudois ont guéri - en partie - des séquelles d’une Réforme imposée par les Bernois : interdiction de danser, de jouer, de blasphémer, de faire des excès. Vrai que pendant 262 ans d’occupation, tout esprit d’initiative était suspect, l’austérité était de rigueur, de même que la dissimulation, la dénonciation, la ruse, les messes basses, les «ni pour, ni contre, bien au contraire». Même leur inimitable humour était alors un mécanisme de défense.
Les Vaudois se soignent, lentement, mais sûrement. Réapparaît alors, sous des siècles de prudence et de méfiance, un caractère ouvert et disponible, attentif, avide d’avenir, de rencontres et d’évasions.
On peut en effet aimer avec ferveur une terre, une population, des paysages, des traditions, sans pour autant s’empêtrer aux glus de la «vaudoiserie». On peut s’établir quelque part entre les Alpes et le Jura tout en restant citoyen du monde.
Tant d’aïeuls ont ouvert la voie. L’audace d’Auguste Forel a bousculé les savoirs établis. L’acharnement de Ramuz a permis de forger une langue universelle. La fantaisie de Jack Rollan est à l’origine de la Chaîne du bonheur. L’inventivité de Frédy Girardet a su éveiller chez les Vaudois d’autres goûts que le poireau et le saucisson. La ténacité de Jean-François Bergier a fait de la Suisse un des rares pays à avoir affronté son passé. Les «savantures» de Bertrand Piccard ont fait le tour du monde, en ballon, bientôt en avion solaire, et celles de Claude Nicollier ont gagné l’espace !
Et Yvette Jaggi et Nelly Wenger et Yvette Théraulaz et Alice Rivaz et tant d’autres ! Souvenez-vous que les Vaudois sont aussi les premiers à avoir accordé le droit de vote aux femmes...
Ce 11 mars, l’élection du parlement et du gouvernement ne va pas révolutionner le «Pays», même si pour la première fois de son histoire, le canton pourrait basculer à gauche. Gauche ou droite, cela a ici peu d’importance, pourvu que les élus et les élues aient des projets concrets pour ce canton, qu’ils et qu’elles soient des visionnaires, pas des économes, des téméraires, pas des pragmatiques.
Vrai que la campagne est pour l’instant bien morne - à part un léger vent de folie soufflé par Guillaume Morand, bâtisseur de minaret et unique candidat de la liste du Parti de rien… Est-ce la surcharge de scrutins depuis le printemps 2011 ? Est-ce une volonté stratégique de s’aligner sur le centre consensuel, le «juste milieu» ?
Le Temps, 8.3.2012
Le fait est que cette année 2012 annonce un renouveau. Durant ces dix dernières années, le canton n’a fait qu’assainir ; il est maintenant temps d’investir !
Que les Vaudois osent être dépassés par leurs envies ! Qu’ils ne tournent qu’une fois leur langue dans la bouche avant d’agir ! Qu’ils perdent l’usage de la litote (la politesse) et de la périphrase (le bavardage), qu’ils disent : «je veux un nouveau métro », et non : «je ne suis pas tout à fait contre» ! Qu’ils arrêtent de se prendre le chou pour la couleur du toit du futur Grand Conseil, pour le tracé du M3 ou le financement d’une Transchablaisienne attendue depuis 50 ans ! Qu’ils écoutent ceux qui en ont marre d’être dans les bouchons de l’A1, debout dans les trains, ceux qui luttent pour faire tourner leur ferme ou leur librairie, ceux qui cherchent un logement abordable depuis deux ans et une garderie depuis un ans !
Rien de tel pour évoluer que de s’ouvrir aux avis extérieurs, d’échanger un temps cette terre épaisse qui colle aux souliers des Vaudois contre «des visions de Colorado». Et  ça  tombe bien, le  canton vient de franchir le cap des 30% d’étrangers (sans compter les extracantonaux) ; les Vaudois n’ont donc même plus besoin d’aller voir ailleurs, l’ailleurs vient à eux, il leur suffit d’ouvrir leur porte et tendre l’oreille.
Qu’on cesse alors de répéter que le canton ne crée des emplois que pour les frontaliers (ces gens avec qui on est en paix depuis 1515 !) et des logements pour les Genevois (à quand l’agglomération franco-valdo-genevoise ?). Et pendant qu’on y est, qu’on cesse d’enterrer les requérants d’asile dans des abris PC, au Mont-sur-Lausanne, à Gland, à Orbe, à Pully, à Begnins (n’existe-t-il pas ici aussi une tradition humanitaire ?).
Le développement par la confrontation extérieure fait partie de la mentalité des Vaudois. Leur français vient de Savoie, le mot «Vaudois» dérive de l’allemand «Wald», la culture horlogère est celle des réfugiés huguenots, le protestantisme est un souvenir des Bernois…
Quant à cette bafouille sur les Vaudois, elle vous vient d’un petit-fils d’immigré bien intégré, un Hofmann de Rueggisberg, un Bernois.

mercredi 22 février 2012

Un livre, ça n’a pas de prix !

Votations du 11 mars : OUI à la réglementation du prix du livre !

Quand je fais mes courses chez le «géant orange», j’échoue immanquablement sur une petite cinquantaine de livres, des «meilleures ventes» aux prix cassés ; si le magasinier sait où se trouvent le rayon «livre», il ignore tout du contenu.
Quand je fais mes paiements chez le «géant jaune», je prend un ticket d’attente, soupire, puis ouvre au hasard cette même petite cinquantaine de livres à gros tirages (l’idéal pour allumer une cheminée ?) ; la postière n’a pas le temps de parler littérature.
Maira Kalman
Quand j’ai voulu passer à la libraire des Yeux Fertiles, à Lausanne, je me suis souvenu qu’elle avait dû fermer en décembre dernier. Tout comme, peu avant, l’historique librairie Descombes à Genève.
Restent alors les onze branches romandes du groupe français Lagardère (Payot), les quatre tentacules, bientôt pilotées depuis la France, qui ont fait disparaître la moitié des librairies indépendantes entre 2000 et 2004 (FNAC), une amazone numérique et sa liseuse (des acheteurs qui viennent repérer des livres en librairies pour les commander ensuite sur internet, un tiers moins cher) et les derniers libraires indépendants.
Une dernière volonté ? Foncer chez l’un de ces irréductibles libraires, emmener tout ce que mon entourage compte d’enfants pour leur montrer ce que l’on appelait jadis «librairie», qu’ils ouvrent au hasard des livres sur les rayons, qu’ils bavardent avec ce que l’on appelait «libraire», histoire qu’ils puissent raconter cela à leurs enfants…
D’accord, j’exagère.
Et cette votation ne va pas radicalement changer la donne. Mais un «oui» massif donnerait un signal fort: le livre n’est pas un produit comme les autres.
Si cette loi vise l’aspect économique (fin des prix cassés dans les grandes surfaces, réduction du prix des livres importés, limitation des marges des diffuseurs étrangers) et juridique (la France, l’Allemagne et l’Autriche bénéficient déjà d’une loi semblable), elle est avant tout culturelle : maintenir la diversité de l’offre.
Que le livre ait un prix, soit, mais il a surtout une valeur. Valeur idéologique d’abord : la diversité de ses points de vue. Valeur sociale ensuite : les 3’200 artisans suisses du livre (éditeurs, correcteurs, graphistes, polygraphes, imprimeurs, relieurs). Valeur identitaire enfin : l’exception de ce pays polyglotte dont Marc Levy et Harry Potter ne sauront jamais parler.

dimanche 19 février 2012

Le temps ne fait rien à l’affaire...

Pour les besoins d’un spectacle rendant hommage aux chansons de la Renaissance, j’ai pu me demander à quoi ressemblait la région au XVIème siècle et... il est toujours surprenant d’y lire - avec cinq siècles d’avance ! - les grandes lignes de notre propre actualité, comme si l’Histoire, cette vieille dame, radotait.
1537. L’Europe a peur, contaminée qu’elle est par un nombre grandissant de gens qui pensent différemment, des Protestants. L’Allemagne excommunie, la France massacre, et la Suisse – jadis déjà - hésite. En Pays de Vaud, la conversion à la foi de l’occupant bernois fait peu d’étincelles. Quoique. Car l’Histoire raconte qu’en l’an 1537, à Romanel-sur-Morges, tous les hommes de plus de 18 ans furent pendus pour avoir assassiné un pasteur !
1545. Morges crie famine. On se nourrit de racines, d’herbe ; des familles errent dans les campagnes à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent ; les paysans mangent les graines qu’ils devaient semer ; et il est désormais interdit de vendre du pain… à des étrangers.
1566. La peste prend le relai (c’était trois siècles avant que le docteur Yersin donne son nom à une rue de Morges). Les coupables sont vite désignés, et une garde spéciale, les «chasse-coquins», reçoivent pour mission d’expulser les responsables de cette épidémie, oui, les étrangers...
Refermant mon livre d’histoire, j’allume la télé : tout sourire, monsieur Rochebin raconte qu’au Nigéria, des fanatiques musulmans ouvrent le feu sur des dizaines de Chrétiens (qui, entre nous, le leur rendent bien dans d’autres coins de cette planète !) ; que la famine que connait la Corne de l’Afrique touche 250’000 personnes ; et que la peste a fait son retour à Madagascar...
Vrai que depuis que l’homme écrit l’histoire, il annone les mêmes refrains. Certains braillent des slogans révolutionnaires – mais hélas déjà nostalgiques - sur la Place Tahrir ; d’autres entonnent, comme Céline Dion dans le film Titanic, la chanson «My heart will go on» sur un paquebot italien.
Extrait du spectacle :

Vous avez lu le programme et ne comprenez toujours pas pourquoi les chansons courtoises de la Renaissance fricotent avec les chansons grivoises de Georges Brassens. La réponse est simple : Brassens est un troubadour. Et cela pour plusieurs raisons :
D’abord, il en a passé, des journées, à la bibliothèque du XIVème, à Paris (à quelque pas de l’impasse Florimont), à fourrer son nez dans les auteurs de la Renaissance : Montaigne, Rabelais, Ronsard surtout ! Il a même mis en chanson le poète voyou François Villon, « pour le faire découvrir à l’ouvrier », disait-il.
Ensuite, Brassens, comme les troubadours, est un artiste populaire. Son modèle ? Charles Trenet. Il refuse l’étiquette de « poète », s’oppose à la création hermétique, et milite pour « le droit de tous à la poésie ». Pour ça, il a ses combines. Il camouffle ses poèmes... en chansons. Puis il débarque sur scène, tenant sa guitare comme un paysan porterait une pioche en allant au champ. Il chante, avec la voix d’un ami venu rappeler de bons moments partagés.
De même, comme les troubadours, Brassens a du goût pour les chansons de garde… Il chante volontiers l’intimité des femmes : « Le blason », « Vénus Callipyge » ou « Quatre-vingt quinze fois sur cent, la femme s’em… ». Il glisse des jurons de chez lui, le fameux « coquin de sort » des « Copains d’abord », cuisine l’adjectif « con » à toutes les sauces,  et invente des mots: « s’enjuponner », « gendarmicide », « avoir du savoir-boire ».
Enfin, Brassens, comme les troubadours, est profondément attaché à la liberté de la femme ; souvenez-vous d’« Embrasse-les tous, embrasse-les tous, Dieu reconnaîtra le sien », et voici, en guise d’amuse-bouche, avant l'entracte « La chasse aux papillons ».

[…]


 
Mais pourquoi s’acharner à vouloir reprendre Brassens ? Tant de gens lui ont déjà fait du mal. Songez à la reprises de « Fernande » par Carla Sarkozy, ou pire, « Je me suis fait tout petit » par Christophe Maé !
Et puis, Brassens, il n’a jamais voulu d’orchestre. Il aimait dire : « quand tu chantes une chanson à un copain, il n’y a pas quarante violons cachés dans le placard ».
Et puis, Brassens, sauf une fois, pour une chanson, il n’a jamais voulu de chœur. Car comment un chœur peut-il interpréter des chansons écrites en « je » ? Comment un chœur peut-il transcrire ce ton de confidence, d’intimité ? Et rendre la diction parfaite de Brassens ? Et puis comment dire l'accent chantant du sud... avec l'accent vaudois ?


[…]


Mais vous allez me dire que Brassens, c’est tout de même un ours qui n’a jamais eu ni femme, ni enfants. Un misogyne qui a chanté : « une jolie fleur dans une peau de vache »… Et bien détrompez-vous, car derrière chaque Ninon, Suzon, Margot, Lisette ou Pénélope, se cache une vraie femme, LA femme de sa vie : la douce « Püppchen ». Un amour au départ clandestin (Püppchen était encore mariée) qui durera 30 ans, jusqu'à la mort de Brassens.
Les plus belles chansons de Brassens sont adressées à cette « Püppchen » : « J’ai rendez-vous avec vous », « Je me suis fait tout petit », « Saturne ». Et puis : « De servante n'ai pas besoin. Et du ménage et de ses soins, je te dispense... Qu'en éternelle fiancée, à la dame de mes pensées, toujours je pense... J’ai l’honneur de… »,
Vous souvenez des principes de l’amour courtois. Eh bien, sachez qu’en 30 ans de complicité, Püppchen et Brassens n’ont jamais habité ensemble… même s’ils se sont toujours débrouillés pour vivre à quelques rues l’un de l’autre… même s’ils se téléphonaient tous les jours… même si elle le suivait très souvent en tournée, dans les coulisses. C’est que Brassens ne voulait pas « dépoétiser » sa douce. Ils préféraient se donner rendez-vous, se surprendre, continuer à se séduire, comme si « rien n’était jamais acquis »…
Dans l’amour courtois, il n’y a que la mort pour réunir véritablement les amants. En 99, quand Püppchen est décédée, on l’a enterrée à Sète, à côté de la tombe de Georges Brassens.

jeudi 10 novembre 2011

Esprit de Noël ?


Décembre, les vitrines veulent à tout prix être les premières à nous l’annoncer, cette «bonne nouvelle», du moins avant la concurrence, à grand renfort de rennes lumineux, s’il le faut, de flocons à ventouse, de…
Retour aux sources.
Bethlehem, en Cisjordanie, bientôt en Palestine libre, inch’Allah. La ville compte très peu de vitrines, assez toutefois pour que le merchandising de la Nativité s’épanouisse sous le flux de touristes tous plus ou moins pèlerins.

Dans la basilique de la Nativité, voilà une heure que j’attends (certains attendent bien depuis 2'000 ans), dilué dans une horde d’Américains qui n’ont rien de Gaspard, de Melchior, et encore moins de Balthazar. Je fais la file pour visiter la grotte de la Nativité où est incrustée une croix d’argent à 14 branches marquant l’endroit (supposé) de la naissance du Christ.
Esprit de Noël, es-tu là ? Bof. Dans la basilique, Arméniens, Orthodoxes et Catholiques se disputent le moindre centimètre carré. Un vrai partage chrétien. Ainsi, dans ladite grotte, six lanternes appartiennent aux Orthodoxes, cinq aux Arméniens et quatre aux Catholiques. Pas une de plus.
En face de la basilique, sur la place de la Crèche, un panneau propose en trois langues un «guide touristique de l’occupation». Vrai qu’en plein cœur de Bethlehem, un «mur de Sécurité» de huit mètres de haut coupe un quartier en deux et isole les grands-oncles du Christ de ses petits-cousins, les Juifs des Musulmans…
Peut-être faut-il remonter davantage le cours du temps ? À trente kilomètres de là se trouve la ville de Hébron, où Adam, Eve et Abraham seraient enterrés. Seulement voilà, deux voies distinctes mènent au tombeau de ce dernier. L’une m’est interdite, c’est celle de la synagogue (on célèbre la Sukkot). Le passage de la mosquée, lui, est ouvert. Arrivé devant le tombeau d’Abraham, j’observe des Musulmans se recueillir à quelques centimètres des Juifs. Se recueillir sur un même corps, mais venus selon deux chemins distincts, et séparés par une parois épaisse !
Dans les rues, Hébron ressemble à son tombeau. La ville n’a qu’un cœur, mais il est partagé en deux : d’un côté, un marché palestinien très animé, de l’autre, une ville fantôme abritant quelques Juifs ultra-orthodoxes, entre deux, 4’000 soldats israéliens…
Esprit de Noël, tu es las.
Alors je me demande ce qu’il y avait avant Mahomet, Jésus, Abraham, Eve et Adam. Et si c’était justement ce fameux «esprit», un paradis peuplé de rennes lumineux où tombent des flocons à ventouse ?
(JdeM, 10.11.11)

lundi 24 octobre 2011

Au-delà des urnes

J’avais commis une chronique politique, une de plus, pour répéter, entre autre, que la Suisse va bien, sa monnaie, ses universités, sa dette, son tout petit chômage, vraiment pas de quoi prendre peur, et voter sécuritaire en cette période d'élections fédérales.

Au contraire, plutôt de quoi afficher sa fierté, en format mondial. «Les Suisses votent UDC», pour les uns. «Les Suisses qui sont heureux votent PDC», pour les autres. «Par amour de la suisse», pour le PLR...

Parmi ces candidats aux sourires crispés qui colorent nos campagnes, j’avais surtout envie de distinguer les patriotes des nationalistes. L’amour d’un pays du repli sur soi. La chance consciente de vivre ici de la méfiance, l’exclusion. J’avais rédigé 2’000 signes, les avais relus, m’apprêtais à les envoyer au journal…

… quand tout cela m’est paru vain. Alors j’ai glissé dans une enveloppe une liste aussi panachée que hasardeuse, sans connaître le centième des 3472 candidats, et sachant que la participation ne dépassera de toute manière pas les 50%.

Puis j’ai préféré glisser ici des mots plus solides. Un vrai programme politique ! Des bribes de sagesse que l'on dit avoir déchiffrées dans une église de Baltimore, en 1692 :

« Allez tranquillement parmi le vacarme et la hâte et souvenez-vous de la paix qui peut exister dans le silence. Sans aliénation, vivez, autant que possible en bons termes avec toutes les personnes. Dites doucement et clairement votre vérité. Evitez les individus bruyants et agressifs, ils sont une vexation pour l'esprit. Ne vous comparez avec personne : il y a toujours plus grands et plus petits que vous. Jouissez de vos projets aussi bien que de vos accomplissements. Soyez vous-même. Surtout, n'affectez pas l'amitié. Non plus ne soyez pas cynique en amour car, il est, en face de tout désenchantement, aussi éternel que l'herbe. Fortifiez une puissance d'esprit pour vous protéger en cas de malheur soudain. De nombreuses peurs naissent de la fatigue et de la solitude. Au delà d'une discipline saine, soyez doux avec vous-même. Quels que soient vos travaux et vos rêves, gardez dans le désarroi bruyant de la vie, la paix de votre cour. Avec toutes ses perfidies et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau. Tachez d'être heureux. »

(JdeM, oct 2011)

samedi 1 octobre 2011

Lire local, penser global

Vous étiez 35'000 curieux à rendre visite aux 280 écrivains du «Livre sur les quais» à Morges. Invraisemblable ! Et si maintenant, au lieu de succomber aux 10 best-sellers de cette rentrée littéraire, vous vous aventuriez dans les belles surprises suisses romandes de l’année écoulée ?


Pour commencer, trois jeunes plumes, trois délicieux recueils de textes courts (le format idéal pour la vie qu’on mène ?) :
Ainsi les Chroniques de l’Occident nomade (Paulette, 2011) d’Aude Seigne, une Genevoise de 26 ans qui ne semble vivre que pour voyager, écrire, lire et aimer. Une multitude de pays, dans le désordre, du rythme, un regard, de l’humilité, de l’intime, de la sensualité ; à lire de préférence à haute voix à un être aimé.
A découvrir aussi, les contes d’Amérique latine du Veveysan Reynald Freudiger, 32 ans. Son recueil Angeles (Aire, 2011) rassemble une dizaine de monologues caustiques où se côtoient un sans-papier bolivien, une avorteuse professionnelle, un kidnappé rongé de remords, un touriste dégueulasse… le tout nourri de ce réalisme magique propre à la littérature sud-américaine.
La Petite Collection d’instants-fossiles (Hèbe, 2010) d’Antoinette Rychner, Neuchâteloise de 32 ans, réunit 25 nouvelles qui sont autant de voyages minuscules, de microfictions, de gros plans sur ces instants où notre quotidien bascule, déchirures ou réconciliations… Sachez qu’elle travaille en ce moment à son prochain livre, seule, dans un phare breton, sans eau, ni électricité…
Je n’oublie pas les valeurs sûres. La Cour des Grands (Campiche, 2010) de Jacques-Etienne Bovard imagine la cohabitation fortuite d’un auteur qui se veut nobélisable et d’autres dits «de romans de gare» : une jouissive satire des petits mondes d’écrivains ; l’histoire aurait pu avoir pour décor le «Livre sur les quais»...
Dans un tout autre style, Un Roi (Grasset, 2011) de Corinne Desarzens. Ce «roi» est un requérant d’asile érythréen. L’auteur a fait sa connaissance dans un abri atomique de Nyon, puis effectué trois voyages en Ethiopie, pour avoir le cœur net. Son Roi se dévore, révolte, peut parfois donner envie de déchirer les affiches «Stopper l’immigration massive», permet surtout de faire un grand pas dans la compréhension de l’autre.
Bonne lecture !

mardi 23 août 2011

Retour au pays natal...

Discours prononcé lors de l'Abbaye de Villars-sous-Yens, mon village natal, en juillet 2011 :

Monsieur l’abbé président,

Messieurs les agriculteurs, mesdames les agricultrices, monsieur le Pasteur, monsieur l’expert-comptable, madame la sage-femme, monsieur le doyen, mademoiselle l’étudiante en Lettres, monsieur le garagiste deux-roues, madame la femme au foyer, monsieur le chômeur en fin de droit, messieurs les députés, madame la syndique, mademoiselle la Juge de Paix, mesdames qui avez décoré vos maisons pour l’occasion, messieurs qui craignez d’être roi à la cible Boiron, bien chères demoiselles d’honneur, messieurs-dames les bénévoles,

Enfin, et pour n’oublier personne : messieurs-dames qui avez voté OUI le 13 février dernier, messieurs-dames qui avez voté NON le 13 février dernier, et messieurs-dames qui avez préféré ne pas aller voter, car ce dimanche 13 fut le seul dimanche ensoleillé de février,

Il me faut tout d’abord saluer l’ouverture d’esprit de ce Comité qui a osé laisser le micro à un scribouillard qui met trop de politique dans ses chroniques du Journal de Morges, laisser le micro à un Bernois de troisième génération, pire, laisser le micro… à un objecteur de conscience.

Mais voilà, pour la première fois de ma vie, il y a une semaine, je suis allé tirer.

Je veux dire, vraiment tirer, tirer avec une arme de guerre, une arme swissmade prévue pour des combats de type « guérilla », une arme proposée, sous différentes versions, à l'exportation…

Vous le saviez, ou le savez maintenant : vous n’avez pas devant vous le plus fervent militariste que compte cette Confédération. Je ne suis pas non plus le plus compulsif des collectionneurs d’armes, ni le Winkelried de la prochaine invasion.

A la réflexion, c’est peut-être dû au fait d’avoir vu des armes justement tirer dans autre chose que des cibles, en Afghanistan, au Tchad, au Yémen, au Pakistan, au Liban, en Algérie, bref, un peu partout sur cette Merveille que l’on appelle Terre.

Mais je m’égare. Pour la première fois de ma vie donc, samedi dernier, je suis allé tirer.

Sur le coup des 10 heures, j’ai garé devant la ferme de mes parents, en face de l’épicerie de Villars-sous-Yens, ai continué à pied à travers vigne, ai atteint le verger du Pré de Fontaine. Et là, sous un Hedelfingen aux bigarreaux épargnés, sous un ciel paisible, foulant une prairie d’herbes folles, de fleurs bleues et d’insectes hyperactifs, bercé par les éclats de rire d’une famille nombreuse venue faire de l’auto cueillette, le chant polyphonique des oiseaux et… les détonations du stand de tir… je me suis demandé : « est-ce que jouer du fusil d’assaut dans la forêt est vraiment l’occupation appropriée pour ce premier samedi estival de l’année ? ».

Arrivé sur le chemin du Moulin, apercevant au loin le stand, je me suis soudain souvenu que gamin (c’était quand même le siècle dernier), gamin donc, j’aimais ramasser les douilles vides qui traînaient dans l’herbe ; c’était mon trésor de pirate.

M’approchant du stand, l’odeur de la poudre a titillé un autre pan de ma mémoire. L’abbaye justement, quand j’avais la haute responsabilité d’imprimer les résultats des tirs, comme secrétaire. Ce dont je me rappelle le plus, ce sont les sandwichs mous et les Coca-colas que l’on nous offrait à volonté.

Au moment de passer sous la tente du stand, attiré par le joyeux brouhaha des tireurs, c’est un dernier flash qui m’a mis le sourire aux lèvres. Mon père.

Non, pas la fois où il fut vice-roi, par une chance invraisemblable : deux 100, accompagnés d’un 27, d’un 43 et d’un 35.

Non, plutôt la fois où, Don du Ciel, il obtint la distinction. Mon père, vous le saviez, ou le savez maintenant, n’est pas non plus le Winkelried des Sécherons. Obtenir cette médaille tenait pour lui du miracle. Il l’avait donc très abondamment fêtée, célébrée, festoyée et arrosée. Ce fut donc un papa en pleine forme que nous retrouvions en fin d’après-midi à la maison. Alors, c’était devenu la valeur étalon. Quand mon père a les yeux plus brillants que d’ordinaire, on dit : « tiens, il a sa demi médaille». Si la situation empirait, en course de Chœur mixte, par exemple, il aurait déjà presque sa « trois-quart de médaille»…

Bref, au moment de saluer les tireurs du stand, j’étais ce samedi-là un peu ému.

Voilà peut-être, aussi, pourquoi j’ai tout fait de travers. J’ai donné du « bonjour » à ceux qui attendaient du « salut ! ». J’ai commandé une bouteille de rouge alors que tout le monde était au blanc. Et, j’ose à peine le dire, j’ai appelé « collier » ce qui est en vérité une cravate américaine.

Le fait est que j’y ai retrouvé Villanchet (dont j’ignorais le statut dans la hiérarchie complexe de l’Abbaye, mais que j’avais croisé à la Pontaise lors de la promotion du LS), j’y ai aussi retrouvé Bertrand, le greffier (qui était mon ancien chef cadet, dans la très fameuse troupe de Yens), retrouvé aussi Leuba (dont le récit de son année de voyage en Amérique du sud m’avait parlé), mon oncle Hans (qui avait déjà sa distinction discrètement épinglée sous la poche de sa chemise), mon cousin Rémy (qui a eu la patience de m’expliquer comment ajuster les deux cercles du viseur sur le noir de la cible), Lambelet junior (qui m’a trop brièvement raconté l’épique voyage de la Jeunesse de Villars-sous-Yens au Mexique), les inséparables Maurice et Félix (déçus en bien par la nomination du fantasque Pierre Keller à la tête des vins vaudois), Daniel (qui m’a détaillé la composition de son fameux « salami Martin »), sa femme Patricia (qui tirait aussi, mais m’a avoué sursauter encore à chaque détonation), et puis le fiston, Pascal (qui avait ce jour-là un magnifique T-shirt « survivant de l’Oktoberfest de Munich »), enfin, je la fais court, enfin donc, l’incontournable Athanase (qui a accompli l’exploit d’évoquer, dans ce stand de tir, le nom du philosophe allemand Nietzsche)…

Et bien la vérité, c’est que mes huit misérables cartouches tirées à la va-vite ont eu bien moins « d’impact » que le plaisir de ces retrouvailles « en rafale ».

Et, après autant de verres de blanc que de cartouches gâchées - avec des ananas au Kirsch pour couronner le tout - je regagnais mon chez-moi, heureux, avec le sourire jusque là. Peut-être le « quart de médaille », pour vous situer…

Si je vous raconte ainsi ma vie, c’est qu’il y a une raison.

J’aime partir, aller voir ailleurs (c’est une expression, Mademoiselle la Juge de Paix). Pourtant, en voyageant, je me suis toujours réjoui de revenir au pays. Le voyage, c’est le meilleur moyen de prendre conscience de ce qui nous a fait partir (ce qu’on ne supporte plus « ici »), mais aussi de ce qui nous manque sur la route (ce dont on ne peut se passer et qui ne se trouve qu’« ici »).

Le voyage est aussi l’occasion de se poser la question : « où emmènerais-je un ami étranger pour lui montrer ce qu’est ma Suisse, ce que c’est qu’un Vaudois, ce qu’est Ma culture, Mes traditions ? ».

Je ne sais pas, vous, où l’emmèneriez-vous, cet ami étranger qui viendrait en Suisse pour la première fois ? Au Musée militaire ? A la résidence d’écriture de Montricher ?

Voilà peut-être pourquoi j’avais voulu ensuite revisiter mon patrimoine, ma « suissitude », me reconnecter au terroir. Voilà pourquoi, il y a quelques années, j’avais revêtit l’habit du moutonnier durant quelques mois dans les Alpes vaudoises.

Et vrai qu’à la fin octobre, au moment de la désalpes, dans ma bouche, le mot « tradition » avait mûri. J’avais pris conscience qu’on peut se dire libertaire et être sensible à la tradition. Que des raccourcis existent pour nous rapprocher des siècles derniers. Que la tradition sent parfois le renfermé et la régression, mais que c’est un pays supplémentaire, à portée de main, qui réunit le passé et le futur d’une communauté.

Vous l’avez peut-être lu dans la « Feuille », le canton de Vaud est en train de dresser un inventaire de son patrimoine « immatériel », pour le compte de l’UNESCO. Le « patrimoine immatériel », c’est ce qui touche à la tradition orale, aux coutumes, aux savoir-faire, les danses, les chants, etc. On proposera donc peut-être la Fête des vignerons, le patois, les lotos, la recette des bricelets, le guet de la cathédrale, les découpage du Pays d’en Haut, le répertoire d’Alain Morisod, qui sait ?

Mais comme souvent, l’Unesco s’y prend mal. Et passe à côté d’un principe essentiel : la tradition, c’est la transmission des flammes, et non la conservation des cendres.

Le grand défaut de cet inventaire, c’est de vouloir mettre le monde sous cloche, en musées (il y a déjà plus de 700 musées en Suisse !). Mais pour qu’une tradition se perpétue, elle doit rester vivante, évolutive et féconde. Toute tradition est un joyeux foutoir de statuts bricolés, d’habitudes rapiécées et d’avenir incertain…

Pour parler de ce qui nous réunit aujourd’hui, je ne crois pas qu’il suffise de faire figurer, dans la liste de l’UNESCO, la prise du drapeau du samedi (ou le Picoulet du lundi soir) pour que ces traditions se perpétuent à jamais.

Rien ne sert d’attirer des cars de touristes avides de traditions, comme c’est le cas maintenant avec les fêtes de la désalpe ; mieux vaut, le jour de l’Abbaye, repeupler enfin cette place du village, occuper la rue, se surprendre à être ému lors du couronnement des rois, serrer la main de celui avec qui on avait joué à la fanfare il y a 10 ans, retrouver celui avec qui on avait fait Marcelin il y a 20 ans, rire avec celle dont on était éperdument amoureux il y a 30 ans, et refaire le monde sous la cantine jusqu’à pas d’heure.

Pour en revenir à mon « dépucelage » du fusil d’assaut, je suis maintenant tout à fait convaincu que ces huit cartouches gâchées n’étaient qu’un prétexte, l’essentiel étant, encore une fois, le plaisir de retrouvailles en rafale. Que le facteur humain surpasse le conflit idéologique de l’objecteur de conscience. Qu’une abbaye est un magnifique « liant » social. Et que ces liants sociaux sont justement, au final, le meilleur moyen de ne plus jamais utiliser une arme pour autre chose que pratiquer un hobby, tirer dans une cible.

Car peut-être bien que les tirs obligatoires ont moins de retombées humaines qu’une telle fête volontaire et bénévole. Peut-être bien que l’odeur de la poudre ne vaudra jamais celle de la traditionnelle langue aux câpres. Qu’une douille en laiton ne supplantera jamais un gobelet en étain rempli d’un de ces étonnants vins de Morges. Et qu’un tir cantonal ne remplacera jamais une amicale gonflée fédérale…

Alors, j’aimerais lever mon verre - si vous y tenez, à l’armée et à la patrie - mais surtout à ce qui fait que nous sommes tous réunis cet après-midi sous le même toit, face-à-face, coude-à-coude :

A cette tradition qui nous lie,

Et à ce lien qui fait la tradition,

Que la Fête soit belle !

Et celle de 2014 tout autant !

lundi 6 juin 2011

Tout miser sur l’imprévisible

A l’ère de la Modération, cette volonté de stabiliser, de réduire les hauts et les bas de la vie, comment concevoir la crise des subprimes, les révolutions arabes ou la sordide affaire DSK ?

« Considérez le grain de poivre et mesurez la force de l’éternuement », dit un proverbe persan. Et franchement, qui aurait pu prévoir qu’un petit marchand de rue tunisien sache chasser un dictateur, puis deux, puis trois ou quatre ? Et à quoi le monde arabe ressemblera-t-il dans dix ans ?

Qui aurait misé un centime sur un DSK menotté en route pour la prison de Rykers Island ? Et quelles en seront les conséquences pour la France et le FMI ? Enfin un directeur issu d'un pays émergeant ?...

Il faut (re)lire Nassim Nicholas Taleb, l’auteur du best-seller Le Cygne noir (ce titre rappelle que les Européens avaient toujours cru que tous les cygnes étaient blancs… avant d’en découvrir des noirs en Australie). Pour cet ancien trader, l’homme n’est habitué à concevoir l’avenir qu’à la lumière du passé. Eduqué à appliquer des théories simples à des réalités confuses, il voit le monde comme une courbe de Gauss, avec quelques rares extrêmes de part et d’autre d’une grande masse stable. Pourtant, ce sont le plus souvent l'inconnu et l’improbable qui guident nos destinées.

Taleb prend l’exemple cocasse d’une dinde de Thanksgiving : bien nourrie et choyée en vue de la Fête, elle pourrait en déduire que la vie est douce… mais du jour au lendemain, la voilà dans une casserole !

L’homme n’est pas si différent, que ce soit pour le pire (« le cancer, ça n’arrive qu’aux autres… »), ou le meilleur (« moi, le coup de foudre ? »). Il a un besoin insatiable de rationnaliser son environnement. Conditionné pour s’adapter à une société de cygnes blancs, il efface artificiellement toute pensée volatile. Mais l’actualité de ces derniers mois semble confirmer qu’à trop vouloir stabiliser, tout finit par exploser :

Les états ont voulu réguler le marché en procédant à des renflouements, en créant des entreprises trop grosses pour sombrer. Au final ? Une crise mondiale.

L’Occident a soutenu des régimes dictatoriaux pour éviter d’hypothétiques débordements islamistes. Au final ? Des révolutions en cascade.

Les médias ont construit un présidentiable, directeur du FMI, marié à une femme belle et intelligente. Au final ?…

Bien. Qu’en conclure ? Qu’il faut peut-être laisser plus de place à l’imprévu. Accepter que la vie, c’est avant tout du désordre. Et écouter Rousseau : « un peu d’agitation donne du ressort aux âmes, et ce qui fait vraiment prospérer l’espèce est moins la paix que la liberté ».

mercredi 4 mai 2011

Carte postale d’Indonésie

Honte à moi, gagner l’Indonésie, le plus grand pays musulman du monde... en pleines fêtes de Pâques !

Histoire de me faire pardonner, recevez cette carte postale en forme de chronique.

Sur le recto, la photo d’un pauvre bougre, la tignasse poussiéreuse, un foulard lui protégeant le visage, torse nu, en tongs. En équilibre sur ses épaules trouées, deux fois quarante kilos de souffre. Et il souffre, justement, en gravissant le cratère du volcan Ijen. Derrière lui, un lac turquoise, acide, et des effets fumigènes ma foi très photogéniques. La misère humaine et la beauté du monde. Du contraste, du pathos, de l’esthétique, du tragique, la photo dont rêve en somme tout voyageur...

Sur le verso de la carte, une adresse, la vôtre, et sur le timbre… j’aurais volontiers vu un Papou luttant avec ses flèches contre une société minière… mais n’ai trouvé que le portrait défraîchi d’un président mort depuis longtemps. Enfin, sur la gauche, quelques lignes quasi illisibles :


« Un grand bonjour d’Indonésie ! En bon Suisse, j’ai pris le parti de l’altitude, et suis tombé amoureux des volcans. Un amour polygame… puisque le pays en compte plus de 400 !

Dans le cratère de l’Ijen, j'ai essayé de soulever la charge de souffre d’un porteur décharné, en vain. Il m’a souri, je me suis senti tout petit.

Sur l’arrête du Bromo, j’ai entendu gronder les entrailles de la terre et vu s’élever d’immenses colonnes de fumée, je me suis senti très vivant.

Aujourd’hui, je suis allé voir les paysages de cendre qu’ont laissés les éruptions meurtrières du Merapi ces derniers mois. J’y ai rencontré Adhi. Qui a mon âge. Qui a perdu son père dans la catastrophe, et puis sa maison, et puis sa récolte. Adhi vend donc aux touristes de mon acabit des DVD artisanaux du désastre. Il me sourit, me demande comment je trouve l’Indonésie. Et je me sens bien con.

Du tourisme noir. Morbide, macabre. Il est temps de rentrer, je crois, et m’occuper de mes propres catastrophes… »


Car dans le cybercafé de Jogjakarta (un tremblement de terre y a fait 5’782 morts en 2006) d’où j’envoie cette chronique, je lis dans les gros titres de la presse helvétique : Repas maigre pour les vaches suisses, Les tomates rougissent, les rivières tarissent, etc.

Le philosophe avait raison, il faut cultiver notre jardin.