mardi 26 janvier 2010

Les catastrophes naturelles n’existent pas

J’avais envie de questionner la guerre humanitaire déclarée à Haïti, la guerre des chiffres aussi, en temps réel, nombre de victimes et millions de dollars US.
J’avais envie de démystifier l’engagement massif du gendarme planétaire, décrire la peur d'une invasion d'immigrés haïtiens en Floride et la nécessité de faire mieux que les Républicains lors de l’ouragan Katrina.
J’avais envie de rappeler que 10'000 ONG galéraient déjà sur place avant la catastrophe, d’accuser la mission onusienne de surtout travailler pour sécuriser les étrangers qui font encore des affaires à Haïti, et puis donner la paroles aux manifestants qui ont défilé le 28 juillet 2009 à Port-au-Prince pour dénoncer l’occupation de leur pays.
J’avais envie de rappeler qu’en 2009, Haïti consacrait 79 millions de dollars au paiement de sa dette, plus du double de ce que l’état recevait pour faire fonctionner ses écoles, son système de santé et ses transports.

J’avais envie d’accuser un gouvernement inconscient, cupide et corrompu, évoquer les constructions anarchiques, l’absence de registre foncier, l’appropriation des terres par l'état et l’émigration rurale.
J’avais envie de rappeler que si depuis dix ans, plus de 4 milliards de dollars ont été consacrés à la reconstruction de sites détruits par les ouragans, les inondations et les glissements de terrain, Haïti stagne à la 146e place (sur 153) au classement des pays suivant l'indice de développement humain.
J’avais envie de condamner le business de la charité qui fait que des humanitaires bloqués à Saint Domingue sont forcés de débourser 3’000 dollars pour rejoindre en hélicoptère les zones meurtries.
J’avais envie de rappeler que le 25 mars 2008, le quotidien haïtien Le Matin publiait un article titré « Risque sismique élevé sur Port-au-Prince », et puis envie de me demander ce qu’il en sera dans dix ans.
J’avais envie de dénoncer le rôle des médias, le danger de la lassitude, la lutte pour la visibilité, le sensationnalisme, la surenchère émotionnelle, le voyeurisme morbide, les lectures simplistes et les explications fatalistes.
J’avais enfin envie de dire qu’au XXIème siècle, les catastrophes naturelles n’existent plus : si un séisme est naturel, la vulnérabilité du pays touché est due à l'homme.

Et puis j’ai vu les images et j’ai eu envie de me taire.

(Publié dans Le Nouvelliste le 26 janvier 2010)

vendredi 8 janvier 2010

Le rôle positif de l’Afrique en 2010

Bande-son de cette chronique : « Indépendance Cha Cha », un tube de 1960 signé Le Grand Kalle, fondateur de l’african jazz. Il y a exactement 50 ans en effet, dix-sept pays africains chantaient haut et fort leur indépendance. Alors si le XXIe siècle sera sans doute celui de l’Asie, laissons au moins à l’Afrique l’an 10 !
Les festivités ont commencé ce 6 janvier avec la tournée de Yang Jiechi, ministre chinois des Affaires étrangères, au Kenya, au Nigeria, en Sierra Leone, en Algérie et au Maroc (en novembre dernier, le Forum sino-africain de Charm el-Cheikh décidait d'intensifier encore la coopération économique). Une attitude néo-colonialiste ? Peut-être. Mais efficace.
Suite du programme le 13 janvier avec la sortie en Suisse romande du dernier Clint Eastwood, Invictus, qui raconte le merveilleux destin de Nelson Mandela. Coup double pour le réalisateur américain, puisque ce bon « Madiba » fêtera ce 11 février les vingt ans de sa libération, et puisque cet été, toute la planète courra après un ballon en Afrique du Sud, lors du plus grand événement sportif jamais organisé sur le continent…
C’est idiot. Me vient un sentiment afro-optimiste. L’Afrique a bénéficié d’une croissance de 5,09% entre 1991 et 2009, contient un tiers des réserves mondiales de matières premières et vient d’accueillir son milliardième être humain. Peut-on alors pondérer ceux qui, de René Dumont (L’Afrique noire est mal partie, 1962) à Stephen Smith (L’Afrique meurt d’un suicide assisté, 2002), comparent ce continent à une plaie incurable ?
Pourquoi en effet ignorer l'Afrique qui marche (l’Afrique du Sud a rejoint le G20), s’apaise (le Libéria a élu une présidente), s’en sort (le Ghana a renoué avec la démocratie) ou s’exprime (le Nigéria est devenu le deuxième producteur mondial de films) ? Pourquoi ne pas louer le « rôle positif » de l’Afrique, son énergie, sa spiritualité, son courage, son imagination, son communautarisme, son respect des anciens, sa débrouillardise et son sens de l'humour ? Et si l’Afrique avait une « mission civilisatrice » à dispenser au monde de la pensée unique ?
Le 11 juillet dernier, au Ghana, un descendant d’immigrant africain considérait ce continent « comme une partie fondamentale de notre monde interconnecté ». Cet homme est le président de la première puissance mondiale... Yes they can !