vendredi 27 novembre 2009

Au XXIème siècle, aidez les sans-papiers !

C’est qu’elle porte bien son enseigne, la dernière, la toute dernière pinte de la ville : le XXème siècle.
Il y a Balavoine sur Radio Nostalgie, « aimer est plus fort que d’être aimé », etc. Il y a une serveuse qui porte un prénom, Marie-Jo. Il y a une craie qui crisse sur une ardoise pour nommer le menu. Il y a des chaises qu’on ne saurait plus où acheter, une affiche « défense de ne pas fumer », au plafond, une guirlande de saucissons, et aux parois, de vieilles photos sépia (la maréchalerie, en face de la pinte, au début du siècle dernier).
Il y a celui qui a ri, a beaucoup ri. Perché sur un tabouret de bar, il parle fort : « les fonctionnaires fonctionnent pour penser, mais dès qu’ils pensent, ils ne fonctionnent plus ». Alors il rit, il rit beaucoup.
Il y a celui qui a étudié, a beaucoup étudié. Sciences de la Vie, deuxième année. Le Temps devant lui, rien que pour lui. Rare qu’on lui adresse la parole. Rare aussi qu’il la prenne. C’est qu’il étudie, il étudie beaucoup.
Il y a celle qui a bavardé, a beaucoup bavardé. Connexion haut-débit à grand renfort d’Assugrin. Mais quand l’amie s’en va, elle gratte un billet à cent sous, noircit un sudoku, regarde ses mains, puis s’en va. Elle aime bavarder (elle est veuve), beaucoup bavarder.
Il y a celui qui a bu, a beaucoup bu. Un séducteur sur le retour (il est de 57) qui dit que « la sienne » lui fait toujours tout partout et jusqu’au bout. Un homme en détresse qu’il faudrait d’urgence prendre dans ses bras. Pour cela qu’il boit, qu’il boit beaucoup.
Il y a enfin celui qui a travaillé, a beaucoup travaillé. Durant la pause, il tourne les pages d’un quotidien, vite : un avion tombé au Chili, c’était au TJ de midi, dix-sept Italiens, ils ont dit. En vérité, sa femme vient de le quitter. C’était les amis ou elle. Il a dit : « les amis ». Maintenant il regrette. N’a pas tourné la page. Alors il travaille.
Il travaille beaucoup et ignore sa chance. Car il y a sur son chemin cette plaisanterie éculée, une mauvaise blague du siècle dernier affichée sur la porte des vécés : « aidez les sans-papiers ».
(publié dans le Journal de Morges le 27 novembre 2009)

Tous sur Valais-mag.ch !

C’est l’histoire d’un mec. Vous la connaissez ? L’histoire d’un mec las de la fusion progressive des médias audiovisuels (« écoute-voir », en vaudois) en Suisse romande, las des investigations journalistiques en un clic, en un copier-coller, en un coup de fil et par moteurs de recherche interposés, las des lignes éditoriales strictes et de l’autocensure qu’elles engendrent, las du jeu des annonceurs, las d’entendre se plaindre des journaleux dits « de gauches » manœuvrés par des groupes de presse dits « de droite », las de savoir le royaume aux mains des nantis et de l’Etat, las de l’info-spectacle, las de l’info-pub, las de l’info-divertissement, las enfin de ne pas avoir son mot à dire.
Son réconfort (même provisoire), il l’a trouvé sur le web, dans des plateformes dites « indépendantes », heureux contrepoids de la pravda officielle. Rôdant sur la Toile, il consulte des journaux indépendants participatifs (Médiapart.fr, Agoravox.fr, Come4news.com, Centpapiers.com), un site créé par d’anciens journalistes du Libé (Rue89.fr), un blog devenu la voix des banlieues (bondyblog.fr), un « café du commerce électronique » (echo.levillage.org), etc.
C’est un autre objectif qui le titille maintenant. Il ne veut plus figurer au rang des récepteurs passifs. Il entend émettre ses propres opinions, être démocrate et participer à l’information.
Il a donc entré « journalisme citoyen » et « Valais » dans son moteur de recherche et quelle ne fut pas sa surprise : Valais-mag.ch ! Un magazine culturel à but non lucratif lancé il y a un mois par la journaliste Marie Parvex : un agenda, des critiques, des créations, des coups de gueule et… la possibilité offerte à tous de publier ses propres articles : « nul besoin d’être journaliste pour avoir des informations intéressantes. Au contraire, vous êtes souvent spécialistes de certains domaines par vos hobbys ou votre profession ».
Il s’efforce donc désormais de publier sa propre information indépendante, fiable, précise et diverse. Il se pose des questions : un journalisme citoyen « qui marche », n’est-ce pas la certitude de revenir à une forme de journalisme traditionnel, avec des chefs, une ligne, des donateurs et des comptes à rendre ? Mais il se laisse emporter par l’enthousiasme que lui insuffle « son » nouveau magazine culturel.
(publié dans Le Nouvelliste le 27 novembre 2009)

vendredi 13 novembre 2009

Typologie des murs de ce monde

Peut-être ont-ils eu raison de te les c*** avec la commémoration de la chute du Mur, car Berlin renfermait le tout dernier MUR DE PAUVRES, un modèle unique, créé pour emprisonner ses propres pauvres et éviter qu’ils aillent s’enrichir ailleurs (en vérité, ces derniers sont restés sur leur faim, lorsqu’en novembre 1989, après s’être agglutinés devant les vitrines des concessionnaires Mercédès, ils ne sont rentrés chez eux qu’avec une banane et une bouteille de coca-cola).
Au 15ème anniversaire de ladite chute, les historiens Axel Klausmeier et Leo Schmidt se sont battus pour inscrire le Mur de Berlin au patrimoine mondial de l’Humanité. Il aurait ainsi rejoint la très prestigieuse catégorie des MURS TOURISTIQUES, au même titre que la Grande Muraille de Chine ou le Mur d’Hadrien, tous deux inscrits à l’Unesco en 1987.
Il n’en fut rien. Aujourd’hui, l’Europe a préféré le remplacer par un MUR NATUREL, la Méditerranée, un bassin qui ne voyage qu’à sens unique depuis une génération (un bassin qui doit pourtant sa richesse à trois millénaires de brassage culturel).
Autre type de mur, les MURS DE BONNES GUERRES, ceux que l’on dit « utiles », ceux qui divisent les deux Corées (qui n’ont, 56 ans après l’armistice, toujours pas signé la paix), les deux républiques chypriotes (qui, selon la mythologie grecque, ont vu naître Aphrodite, la déesse de l’amour) et les deux états irlandais (qui sont séparés par un « Mur de la Paix »).
Viennent ensuite les plus vendus, les MURS DE RICHES. Pour n’en citer que deux : celui que les Américains érigent en face des Mexicains et celui que les Américains érigent en face de leurs propres et pauvres concitoyens (type de mur bientôt disponible en Suisse).
Les MURS DE RICHES-PAUVRES se distinguent des précédents par leur non-visibilité médiatique. Le gouvernement du Botswana a ainsi décidé de clôturer hermétiquement sa frontière avec le Zimbabwe (500 kilomètres) et l’Inde, d’en faire pareil avec le Bangladesh (4000 kilomètres).
Enfin, les MURS ANGÉLIQUES : un état dit construire un mur de sécurité contre les terroristes et fabrique un mur de séparation, profitant de s'emparer des terres du voisin. Un exemple ?
- Non, pas besoin.
La chute de cette chronique ?- Ces murs n’ont qu’un seul point commun - la PEUR - et qu’un seul espoir : l’homme connaît toujours des échelles plus grandes que les murs qui lui font face.
(publié dans Le Nouvelliste le 13 novembre 2009)