vendredi 10 décembre 2010

Danse et littérature...

Texte écrit à partir du spectacle Je veux bien vous croire de Philippe Saire et lu sur scène à l'issue de la représentation :

Le Paloma se trouve être un yacht de luxe construit dans un chantier naval japonais en 1965. Le yacht Paloma est aujourd’hui la propriété d’un milliardaire français. A son bord, le Paloma dispose de multiples écrans plasma géants, d’un karaoké et d’un jacuzzi... Vous l’avez certainement lu dans la presse divertissante, au lendemain des élections présidentielles, l’actuel premier homme de France y avait séjourné quelques jours : Kukurukuku sabbatique, étatique, ploutocratique, cathodique, et artistique, car l’Amour…

Voilà, mesdames et messieurs, ce qui arrive lorsqu’on laisse la plume et la parole à celui qui n’en sait trop rien : l’écrivain cul-de-jatte, l’écrivain qui voudrait tant entrer dans la danse, l’écrivain ébloui-aveuglé par les danseurs étoile, leurs multiples facettes… Un écrivain est par essence un piètre divertissement. Hélas, l’écrivain est là ce soir, contraint de vous distraire, comme vous êtes contraints à être distraits.

[...]

"Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans affaires, sans divertissement. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffsance, son vide", Blaise Pascal.

Bien, vous avez eu droit à un faux final, à de faux saluts. Vous venez d’assister à un faux départ. J’aurais clairement dû introduire cette lecture par le titre du texte. Le titre, le voilà : « il feront bientôt de vos parachutes dorés des couvertures de survie ». Ce titre vous plaît ? Cela n’a aucune importance.

Je crois – mais je peux me tromper - qu’un spectacle de danse sur le divertissement reste un divertissement… La création naît dans la cour de récréation. L’art est aussi plaisant qu’un week-end à Madrid à partir de 29 francs. L’art est aussi beau qu’une montre de luxe à son poignet. L’art est aussi utile qu’un jardin potager.

Cher Philippe, j’ai ainsi voulu voir votre compagnie répéter, suer, bailler, reprenez !, chuter, se fâcher, reprenez !, rire, s’embrasser, c’est parfait, gardez ! Mais on m’a répondu : « je comprends tout à fait votre démarche. Serait-il possible pour vous de venir le mardi 16 novembre à 19 heures ? Nous réalisons là une pré-générale ouverte à une quarantaine de personnes. Par contre, il est vrai que sur la dernière ligne droite avant la création, il n'est pas aisé pour Philippe Saire d'avoir des personnes qui suivent les répétitions proprement dites. Le stress de la fin... Vous devez aussi connaître cela dans votre domaine…».

Après la pré-générale du mardi 16 novembre à 19 heures, quelqu’un a dit qu’il aimait la « poésie du sol », il a utilisé le mot « nostalgie », quelqu’un a dit que c’était « comme si le spectacle n’était qu’une seule personne », et puis que c’était « une longue métaphore sur le divertissement », celui-ci a senti « comme un malaise », celui-là a « beaucoup aimé le groupe que forme la compagnie ». J’aurais voulu moi aussi trouver une phrase, ma phrase, mais j’étais sous le charme. Je n’ai pas appris à décoder les mouvements du corps, je n’y reconnais aucune figure de style, je me laisse porter, voilà tout, comme la colombe du spectacle, et c’est bon. Quand la lumière est revenue, j’étais comme ébloui-aveuglé…

Un carré d’ampoules et une boule à facette, un chapeau de cow-boy rose et une chapka, des claquettes et une fausse jambe, des pièces de monnaie qui toupient sur une table noire et un lapin qui vomit des paillettes, un contorsionniste, son cadenas et un clown qui s’étrangle de rire, avec le soutien de la Loterie romande, un prestidigitateur, ses fleurs et une femme ouvrière qui se rêve diva, Las Vegas et la brièveté de la vie, l’éthique et le toc, le show, le pain et les jeux, la fabrique à oubli, les percussion d’échalas, les applaudissements déjà là, le bricolage, le collage, le lâche Traité du désespoir et de la béatitude, le simulacre et les costumes, les accessoires et les numéros, le trois et le neuf, le trois et le six, l’étymologie et le verbe « détourner », l’artifice et le cabaret, le cirque et la comédie musicale, un boys band et un petit transistor grésillant, un carré d’ampoules et une boule à facette…

L’inventaire ne sert à rien. Il n’est que divertissement dans l’indicible. Encore une fois, j’aurais mieux fait d’apprendre les pas, ou fermer les yeux, laisser retomber les particules en suspension et songer à la première image qui me revient à l’esprit:

« à 3 ou 4 ans, en Algérie, à quatre pattes sous la table, jouant avec le cordon du fer à repasser… »

C’est cela : « à 3 ou 4 ans, en Algérie, à quatre pattes sous la table, jouant avec le cordon du fer à repasser. » A en perdre haleine, Philippe, vous sprintiez alors sur les places d’Alger pour effrayer, oui déjà, les pigeons, déjà fasciné par leur costume, comme ébloui-aveuglé.

« Gamin, j'étais fier d'avoir vécu en Afrique, disiez-vous à une journaliste de la presse divertissante. Me faire traiter de pied-noir, ça me donnait des airs de chef indien. A 3 ou 4 ans, en Algérie, à quatre pattes sous la table, jouant avec le cordon du fer à repasser… »

Emmenez-nous là-bas, Philippe, dans un monde de vrais visages, de visages de viande rouge, de visages qui parlent, de visages qui regardent dans les yeux, de visages qui osent respirer l’ennui, de visages bons vivants, de visages doués de vie.

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