vendredi 9 octobre 2009

Tu te souviens ? C’était… en 9 !

On n’avait plus vu pareil massacre depuis l’an 75 du siècle précédent. Un 23 juillet comme si c’était hier. La colonne sombre sur le Jura, la nuit noire en plein après-midi, la fenêtre de la chambre à coucher qui claque, le canon à grêle, ou était-ce la foudre ?, des salves de projectiles « de la taille d’une balle de golfe », ils ont dit, cinq minutes, l’Enfer.
Puis plus rien sinon le silence. Le grand beau par-dessus le tapis blanc d’une morte saison.
À Bremblens, la vigne était foutue, une année de boulot, plouf ! Et pas une goutte de pluie sur le voisin de Denges ! La grande injustice. « J'ai pleuré. Tant de choses à faire. Je ne savais pas par où commencer », l’un a dit. « Afin que l’expertise se fasse rapidement, utilisez le formulaire rose ou annoncez le dommage en ligne», l’autre a écrit. On a fait marcher l’assurance pour remplacer la vieille auto bosselée, on s’est inscrit dans la liste d’attente du vitrier, on a planté une étiquette rouge dans les cultures, on a chiffré la casse, on a évalué les indemnités.
Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul grêlon. Dans un frigidaire. Un grêlon qui fond un peu plus chaque fois qu’il passe dans les mains des invités pour témoigner de la violence du massacre. Les invités ouvrent de grands yeux désolés.
Aujourd’hui, alors qu’un charpentier retape le toit d’un hangar voisin, on vendange, on vendange même à Bremblens, on chiffre la récolte, on est déçu en bien, on évalue le sucre, « le millésime 2009 sera exceptionnel », ils ont dit, et, pour peu, on saluerait la clémence des dieux…
…s’il n’y avait dans la Feuille du jour un mot sur les commerces, hôpitaux, écoles, musées, mosquées et églises effondrés comme des châteaux de cartes en Indonésie. Un millier de morts, des milliers d’ensevelis, un séisme, deux minutes.
Alors, on fait le poing dans sa poche, on a plus envie de chiffrer la casse, d’évaluer les indemnités, on a envie d’en tirebouchonner une de l’an 8 pour se souvenir d’un jour de juillet qui ne nous a pas volé l’essentiel. Santé ! Et pour rafraîchir le sirop du petit, plouf, le grêlon du frigidaire ! Allez, petit, à l’an neuf !
(publié dans le Journal de Morges le 9 octobre 2009)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire