jeudi 4 février 2010

Uniformisez vos lieux de vie grâce à l’iPad d’Apple

Encore dernièrement ce fut le cas. Quel plaisir de trouver dans le salon d’un parfait inconnu un objet d’art aimé ! Comme une passerelle instantanée entre deux êtres. Sur une étagère étrangère, surprendre ainsi ce livre qui m’avait dénoué le cœur : Loin de Chandigarh de Tarun Tejpal. Parmi une pile de disques, cet album qui m’avait retourné les tripes : La Marmaille nue de Mano Solo. Et aux murs, des photographies, des tableaux, chacun son origine, son projet, son destin, son héritage, un passé qui ne demande qu’à être conté.
Changement de décor. Ici, sur un meuble de verre, un ipod. Si ce baladeur numérique, pratique et ergonomique ne prend pas de place, il ne raconte aucune histoire. Vivaldi, NTM, Beyonce et Jacques Brel ont la même forme et la même couleur, celle d’un ipod sur un meuble de verre.
Là, au mur, un tableau industriel acheté à bon prix chez un détaillant de mobilier en kit suédois ; lui non plus n’a rien à dire. À côté de lui, des images numériques tournant en boucle dans un cadre impersonnel ; des souvenirs qui n’ont pas le temps de s’émouvoir.
Enfin, sur le sofa, un Kindle, un petit boitier blanc de 10 sur 20 centimètres qui permet de télécharger et lire sur un même écran des centaines de milliers de livres en format numérique…
Voilà pourquoi, quand le grand gourou de la firme Apple présentait la semaine dernière son iPad, le nouveau support pour livres et journaux électroniques, plus joli, plus sexy, plus trendy, plus cher, mais Ô combien plus révolutionnaire, je n’ai pas été submergé par la joie.
Car je suis un vieux con qui aime les livres écornés, annotés, usagé, ces objets uniques, ici une dédicace amicale, là un paragraphe souligné, des miettes de croissant, du sable de la plage de Préverenges, l’auréole d’un verre d’Humagne. Un vieux con qui refuse qu’on dématérialise la littérature, comme on l’a fait avec la musique et la photographie. Un vieux con qui aime le papier, le disque et la pellicule. Un vieux con qui aime lorgner les bibliothèques de ses hôtes, errer entre les rayons des bibliothèques publiques et vivre près de sa propre bibliothèque. Un vieux con qui ne veut pas d’un lieu de vie « dupplicable », téléchargeable, « what you see is what you get ». Un vieux con qui ne demande qu’à tourner la page, en croquant dans de véritables pommes.
(publié dans Le Nouvelliste le 6 février 2010)

2 commentaires:

  1. Tant qu'il y a des vieux cons, je garde tout mon espoir que ce destin moderne reste épargné au bon vieux livre de Gutenberg.

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  2. Un vieux con qui vient de s'inscire sur Facebook et par lequelle il nous met un lien sur son blog... Ahhh la technologie est vraimenent faite pour tous le monde, les gros cons y compris...

    Der Fuchs

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