vendredi 19 mars 2010

Attention travaux !

Ai-je fait le bon choix ? Est-il vraiment pour moi ? Pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ?
Si cela te travaille (aussi), il faut d’urgence lire le dernier Alain de Botton, Splendeurs et misères du travail.
Ce journalistécrivain anglo-suisse a en effet convoqué érudition et humour pour dire l’essentielle absurdité de la plupart des gagne-pains. Dix chapitres, dix reportages. Alain de Botton ose le retour aux ressources, une projection sans trop d’avenir, convainc de la poésie des containers marchands du port de Tilbury, des 542 pylônes électriques qui relient la centrale nucléaire de la côte du Kent à Londres, accompagne un comptable dans son défi quotidien, un ingénieur dans ses rêves aérospatiaux, et remonte les chaînes de production : du vernissage d’une galerie de la City aux quatre années nécessaires à l’artiste en question pour « rendre » les feuilles d’un chêne, un seul chêne ; de celui qui dévore nonchalamment un biscuit à celui qui en a inventé la recette après une année d’enquête socio-psychologique ayant coûté un million de livres sterlings à l’United Biscuits Company ; de l’assiette d’un gosse de Bristol qui déteste le thon au coup de matraque en bois de cocotier asséné, au large des Maldives, au dit thon... Surtout l’auteur rassure : nous ne sommes pas les seuls Sisyphes ici bas.
On veut nous faire croire et espérer que le travail peut rendre heureux. Qu’il est source d'accomplissement. Qu’il est définition d’identité. Et qu’il est tout à fait normal de mettre sa santé en péril, de trimer bien au-delà de nos besoins financiers…

« Le travail par sa nature même ne nous accorde pas d'autres possibilités que de le prendre trop au sérieux. Il doit détruire nos sens des proportions, et nous devons lui être reconnaissants de porter les pensées de notre propre mort et de la ruine de nos entreprises avec une belle légèreté, comme de simples proportions intellectuelles, pendant que nous volons vers Paris pour vendre de l'huile de moteur… »

Peut-être crains-tu maintenant qu’après la lecture de ces 374 pages, tu sois tenté(e) d'envoyer promener la hiérarchie. Non. Tu reconduiras simplement, avec entrain cette fois, ton inutile labeur, car ce dernier, aussi absurde soit-il, te distrait, concentre tes peurs sur des objectifs modestes, te donne l’illusion de maîtriser la situation, remplit ton assiette, te préserve de l’ennui et te rend honorablement fatigué(e).
(publié dans le Nouvelliste le 20 mars 2010)

Splendeurs et misères du travail (The Pleasures and Sorrows of Work, 2009) d'Alain de Botton, traduit de l'anglais (2010), Mercure de France.

2 commentaires:

  1. travail: un cheminement sémantique "tortureux", de trepalium à valeur marchande... Laurent

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  2. Tripalium :
    - Instrument de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles.
    - Instrument servant à ferrer de force les chevaux rétifs.
    "Tripalium" a donné naissance au mot "travail".

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