mardi 12 novembre 2013

Le Vully en 1CV


Il faut parfois freiner des quatre fers, lâcher la bride et sortir de l’ornière. Pour cela, un ami connaît un remède de cheval.
Rendez-vous chez lui, en fin de journée, quand les couleurs sont belles, dans l’enclave vaudoise de Villars-le Grand, à une enjambée du lac de Neuchâtel, à un jet de pierre des Friques, le village contigu qui est fribourgeois (les frontières des hommes perdront assez vite toute consistance).
Le véhicule s’appelle « taxi-calèche ». Le moteur s’appelle Persane. A ses heures perdues, cette jument de 24 ans laboure les vignes d’une exploitation biodynamique (sûr qu’on a misé sur le bon cheval). Le cocher s’appelle Luca Etter. Persane est sa plus noble conquête. Luca est photographe et connaît son Vully sur le bout des doigts. Au bout de ses doigts, justement, un petit verre de Vully.
                                                                           Photo : Luca Etter
Luca prononce le mot « doucement » et Persane comprend. Le Vully se visite alors à la juste allure, plutôt au pas qu’au trot (qui veut aller loin ménage sa monture), suivant le juste itinéraire, hors des sentiers battus.
D’abord, la petite Glâne que l’on traverse sur un pont de pierre interdit au plus de huit tonnes. Ensuite l’Arbogne dont les rives sont parsemées de noisetiers et de sureaux. Enfin la Broye où quelques castors ont élu domicile.
Tout autour, il y a des collines, des vignes, à coup sûr une vue imprenable sur le lac, mais on préfère rester dans la plaine, à hauteur d’homme, dans un paysage qui ne monte pas sur ses grands chevaux, un pays de betterave et de patate, de colza couché par le vent et de maïs haut comme le bras, de jachères fleuries où l’on peut surprendre une biche.
Une buse plane dans un ciel immense.
Des hirondelles font du rase-motte au milieu d’un troupeau de tachetées rouges de Simmenthal. Cela annonce le beau mais aussi déjà, hélas, le village terminus. Un village qui abrite un spa nommé « La Grange » et un projet immobilier intitulé « Les vergers », des triples mitoyennes qui ne trouvent heureusement pas encore preneurs. On y rencontre toutefois l’ancien maréchal-ferrant qui complimente la silhouette de la vieille Persane. Cela met Luca de bonne humeur. Et l’entendre chanter un petit air du crû : « à Villars-le-Grand sont les cigognes / on le sait depuis longtemps / ça ne nous fait pas vergogne / c’est plutôt un compliment… ».
Le clocher sonne huit coups. L’errance n’aura duré qu’une heure mais au moment de rentrer au bercail, on signerait volontiers pour un an supplémentaire.

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