lundi 25 octobre 2010

Privés de patrimoine culturel immatériel...

Cher Jean-Paul Perrin. « A quels enfants allons-nous laisser le monde ? », se demandait votre dernière chronique. Vous évoquiez, aux premiers rangs des préoccupations des jeunes, la consommation, la distraction... Ces mots - qui m’attendaient au retour d’un voyage d’études que j’organisais à Lisbonne pour une trentaine de gymnasiens - m’ont fait mal à leur adolescence.

Crises financière, écologique, identitaire, médiatique, familiale, etc. Asphyxie. Voilà ce que nous leur laissons. Très peu de place pour le rêve. La preuve par l’actualité française : ces jeunes – qui, il y a 40 ans, revendiquaient le pouvoir de l’imagination - descendent aujourd’hui dans la rue pour sauver, oui, leur pension de retraite.

Pourtant, durant ce séjour à Lisbonne, enfin affranchis de leurs contraintes scolaires (il faut être le meilleur), sportivo-artistiques (il faut être le meilleur) et parentales (rarement les meilleurs), ces jeunes se sont montrés curieux (volontaires pour des visites facultatives), ponctuels (malgré le déficit de sommeil), solidaires (de vrais amis pour l’étudiante malade), enjoués, dynamiques, respectueux...

C’était dans les dédales de l’Alfama, le vieux Lisbonne, à la Mesa de Frades, une minuscule gargote aux voûtes recouvertes d’azulejos, une des meilleures caves pour écouter du fado. Une jeune Lisboète s’est levée, a fait signe à ses deux guitaristes, a chanté. L’exil, l’amour, la mélancolie, le bonheur d’être triste, la saudade, ce « désir intense » pour ce qu'on aime, pour ce qu’on a perdu, pour ce qui pourrait revenir dans un avenir incertain.

Pas étonnant que ces gymnasiens en aient pris plein la gueule. Pas étonnant qu’aucun d’entre eux n’aient préféré filer en discothèque, histoire de consommer, se distraire.

Alors j’ai eu une pensée pour les marins du XVIème siècle, les inspirateurs du fado. J’ai eu une pensée pour Carlos et Manuel, les deux Portugais qui furent les employés de mon père. J’ai surtout eu une pensée pour ces jeunes, exilés de leur enfance, qui peinent encore à être eux-mêmes, peu réjouis à l’idée d’embrasser le monde que nous leur laissons, cet avenir incertain.

Et puis je me suis demandé quel est notre équivalent du fado. Dans quel lieu pourrais-je emmener ces jeunes, en Suisse, pour partager un tel art traditionnel, savourer à nouveau ce « désir intense », sans verser dans la consommation ou la distraction ?

Je crois que nous ne leur avons rien laissé de tel. Dommage.

(Journal de Morges, 29.10.10)

2 commentaires:

  1. A défaut d'une tapée de carton à la Marionnette, ou d'un match sur la terrasse du Belvédère, entre autres "ratés" chez les dzodzets, j'aurais bien papoté avec toi et ta classe autour d'uma carioca de limao.

    On aurait écouté fredonner les azulejos, ils sont capricieux, mais parfois plus joyeux que les fadistas.

    Ils rient du vide, ensemble, depuis les miradoures.

    Encore un rendez-vous manqué, non mais tes colles!

    Si tu viens de nouveau prendre de pleines lampées de saudade, embarque le Luca et fais-moi signe.

    Amicalement.

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  2. aïe, ce raté
    pas à la hauteur des lettres d'Henri Calet...
    ... peut-être juste au niveau des pavés du prochain Bairro Alto !
    Honte à moi, je t'embrasse, cher Lisboète !

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